Emilie Allaert: «Avançons tous ensemble!»

Après cinq années passées à la Luxembourg House of Financial Technology (Lhoft), Emilie Allaert prendra la tête du Luxembourg Blockchain Lab le 15 juillet. Avec la ferme intention d’insuffler un vaste mouvement d’adoption de cette technologie au Grand-Duché – plus large qu’au sein de la seule place financière –, elle appelle à la collaboration de toutes les parties prenantes.

Source : paperjam.lu
Publication date : 06/22/2022

 

Le Covid a «cueilli» les plans de développement du Luxembourg Blockchain Lab, formalisé fin 2019, quelques semaines avant le début de la pandémie. Et vous allez tirer un trait sur cinq années à la Lhoft? Qu’en garderez-vous?

Emilie Allaert. – «Que du positif! J’ai vu le Luxembourg évoluer dans l’adoption de toutes ces technologies. Je suis venue de l’IT de KPMG, je suis devenue fiscaliste, puis project manager chez J.P. Morgan et en charge des US bonds au Mécanisme européen de stabilité (ESM)… Arriver là a été une expérience incroyable. Je crois qu’il reste encore beaucoup à faire, mais les choses évoluent. C’est difficile de faire comprendre aux institutions financières qu’elles doivent bouger, elles qui sont souvent convaincues qu’elles ont des clients qui sont très satisfaits de leurs produits.

Surtout que la Lhoft (Luxembourg House of Financial Technology) est là pour aider la place financière…

«Oui! Pour aider, avec une volonté de collaborer, d’avancer! Pouvoir échanger avec les entrepreneurs, les fintech, mais aussi avec les institutions et les autorités au sein de la Lhoft, c’est une opportunité que je n’aurais jamais eue nulle part ailleurs. Ces échanges permettent de comprendre pourquoi on ne peut pas avancer plus vite sur telle ou telle chose, dans un contexte européen et d’adaptations permanentes des réglementations et des législations. C’est une chose de voir ce qui avance ou pas de l’extérieur, et c’en est une autre de vivre ces contraintes de l’intérieur.

Le 15 juillet, vous prendrez la tête du Luxembourg Blockchain Lab (LBL), plus de deux ans après sa création. Ce n’est pas long, pour mettre ces choses en route, dans un univers qui bouge très vite?

«Le memorandum of understandig a été signé en décembre 2019. En mars 2022, nous avons été «qualifiés» comme pôle d’innovation technologique dédié à la blockchain, aux termes de la loi RDI (recherche-développement-innovation, ndlr). Ça nous permet d’accéder au financement du ministère de l’Économie. Entre les deux dates, il y a non seulement eu le Covid, mais nous avons aussi pris le temps de monter un dossier de candidature sérieux, avec un business plan sur 10 ans. Plus de 40 pages que nous avons préparées soigneusement.

Quelle est la vocation de ce nouveau Lab?

«Je dirais qu’il y en a quatre. D’abord, favoriser la formation à la blockchain. C’est pour cela que nous avons intégré le Digital Learning Hub avec une offre de formations. L’idée est non seulement de former, mais aussi d’attirer de nouveaux talents dont nous avons besoin dans ces activités. Ensuite, travailler de concert avec le SnT (Interdisciplinary Centre for Security, Reliability and Trust) de l’Université du Luxembourg et le Luxembourg Institute of Science and Technology (List) autour des thématiques de recherche et de développement. Puis, apporter de l’aide aux acteurs de l’industrie qui en manifesteraient le besoin. Et enfin, peut-être analyser les projets qui se développent au Luxembourg.

Car il y a des projets qui se développent au Luxembourg, que ce soit Tokeny ou Ibisa…

«Oui! Ce qui est dommage et problématique, en ce moment, c’est de voir des projets de cryptomonnaies s’effondrer et susciter des craintes pour tout l’écosystème blockchain. Ça rend les gens beaucoup plus prudents. D’un autre côté, les sujets sur le metaverse et les NFT alimentent une nouvelle curiosité. La blockchain a beaucoup d’impacts potentiels dans l’industrie, dans l’automobile, dans la santé ou dans l’économie circulaire. Oui, Tokeny est un projet à part, mais la tokénisation des assets est une des seules pistes où le Luxembourg est vraiment compétitif.

D’où vient ce que vous semblez décrire comme une inertie?

«Il ne faut pas être trop dur avec les mots. Cela fait cinq ans qu’on en parle, mais il est temps que le Luxembourg Blockchain Lab se lance vraiment. Pour l’instant, il y a des projets à droite ou à gauche, comme cette utilisation de la blockchain pour les prêts étudiants chez Spuerkeess, sans que l’on communique trop sur ces sujets. Il ne faut jamais perdre de vue que nous sommes dans une approche réglementaire. Je suis impatiente de voir l’impact des textes comme MiCa (la réglementation européenne sur les marchés de crypto-actifs, ndlr) ou les initiatives autour des blockchain pilots (fin 2020, la Commission européenne avait proposé un régime d’exception à certaines technologies de blockchain liées à l’industrie financière pour éviter qu’elles ne soient bloquées par la fragmentation réglementaire en Europe sur ce sujet, ndlr).

Il faut aussi que le Luxembourg pense à sa compétitivité en faisant en sorte, par exemple, de faciliter l’accès au compte bancaire, au crédit ou aux investisseurs à des entrepreneurs de la blockchain. Cette approche prudente n’est pas que négative: elle permet de filtrer les projets et d’espérer n’attirer que ceux de qualité. Cela dit, je pense que l’écosystème va devoir se parler et s’entraider.

C’est vraiment là que vous allez devoir jouer votre rôle de chef d’orchestre!

«Oui. Au début, je pense que je vais m’appuyer sur Infrachain, l’association qui réunit déjà les sept acteurs de premier plan que sont le Service des médias, de la connectivité et de la politique numérique (SMC), le Centre des technologies de l’information de l’État (CTIE), InTech (la filiale technologique de Post), Luxtrust, Scorechain, Telindus et KYC3 (la dernière liste des membres de l’asbl compte 19 autres membres dont KPMG, PwC, Allen & Overy, Elvinger Hoss Prussen, Spuerkeess, EBRC ou encore Nomadic Labs, The Blockchain Academy et The Blockhouse Technology, ndlr). Le Luxembourg Blockchain Lab est soutenu depuis le départ par la Lhoft, le SnT, LëtzBlock, Infrachain et le Luxembourg Institute of Science and Technology.

L’idée est de devenir le point central de tous les intervenants de la Place pour répondre à leurs besoins particuliers, qu’ils soient des entreprises, des individuels ou une autorité, voire l’État. Mettons que vous ayez une entreprise qui veut étudier l’intérêt de la blockchain pour le développement durable. Nous pourrions l’aider à créer un appel à projets, en prenant en charge la partie logistique, avec un comité de revue, un format dédié au coaching, et finaliser une solution en 8 à 10 mois. Ça existe, et ça pourrait voir le jour. Allons-y! Avançons! Tous ensemble!»

Thierry Labro

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