La car data, cette mine d’or sous-exploitée

De plus en plus connectés, les véhicules génèrent des milliards de données dont les acteurs du secteur n’exploitent pas (encore) entièrement tout le potentiel. Pourtant, les applications semblent multiples, à en croire German Castignani, chercheur au List, qui fourmille d’idées en ce sens.

Source : paperjam.lu
Publication date : 06/01/2023

 

L’époque où la data liée aux véhicules se limitait à la localisation ­géographique de ceux-ci est révolue. ­Désormais, la car data représente des milliards de ­données enregistrées grâce aux nombreux capteurs, caméras et autres outils des véhicules connectés. De la big data qui fait saliver les constructeurs automobiles. Car si ce marché n’en est qu’à ses balbutiements, les analystes de la Commission européenne prévoient déjà un potentiel évalué à 400 milliards de dollars à l’horizon 2030.

«On situe la naissance de la voiture connectée vers 2016 ou 2017. Depuis, celle-ci s’est fortement généralisée et, aujourd’hui, toutes les grandes marques sont connectées», rappelle German ­CastignaniGerman ­Castignani, cofondateur de la société d’analytics sur la mobilité Motion-S et actuellement en poste au sein de l’institut de recherche public du Luxembourg ­Institute of Science and Technology (List). Désormais, la data est pleinement intégrée aux systèmes embarqués des véhicules. «Le conducteur peut y avoir accès sur son tableau de bord, mais aussi en externe. Et tout cela en temps réel.» Une performance rendue possible grâce aux plateformes que les constructeurs ont mises en ligne.

Pour l’heure, tous les constructeurs ne fournissent pas (encore ?) les mêmes ­solutions, chaque groupe automobile possédant son propre catalogue de data, certains étant plus avancés que d’autres en la matière. Stellantis – pour rappel, né de la fusion de PSA et de Fiat Chrysler en janvier 2021 –, par exemple, donne le ton. L’annonce, début 2023, de la création de Mobilisights, sa nouvelle business unit destinée à offrir des services innovants liés à la data, en est une belle preuve.

Les jumeaux numériques

«L’utilisation de toute cette data reste, pour l’instant, une démarche avant tout occidentale. Tout simplement parce qu’on décèle, chez nous, un marché potentiel important lié à la valeur ajoutée ­apportée par ces données. Et la gestion de flotte automobile en est, à mon sens, un bon exemple», continue German Castignani.

Depuis le mois de mars 2023, ce ­dernier occupe les fonctions de digital twin innovation centre manager au List. Sa ­spécialité consiste donc à mettre en place des jumeaux numériques, c’est-à-dire des répliques virtuelles d’objets ­physiques pouvant être utilisées à des fins de simulation, de surveillance et d’optimisation. Un concept qui s’avère très utile dans le secteur automobile, où, depuis des décennies, on conçoit et évalue ainsi virtuellement les prototypes, avant de les lancer en fabrication. Mais la multipli­cation des volumes de data permet aujourd’hui d’envisager bien d’autres ­utilisations. «Des données comme la localisation, l’état des composants, l’état d’activité des voyants du tableau de bord, la lecture de capteurs, la pression et la température des pneus, la détection de pluie, etc., ­permettent en effet, désormais, de créer de véritables digital twins automobiles très précis des véhicules. L’instantanéité de cette data permettant même d’adapter ces jumeaux en temps réel», avance le chercheur au List. Les usages concrets de cette nouvelle technologie pourraient s’avérer nombreux dans le cadre de la gestion de flotte ou du leasing automobile. German Castignani s’est d’ailleurs déjà penché sur la question.

Une évaluation continue du véhicule

«Un leaser est un acteur qui investit dans un véhicule avant de le céder à un particulier (ou à un conducteur de flotte) en échange d’une mensualité, explique-t-il. Cette dernière est généralement déterminée en fonction de l’écart existant entre le prix d’achat de la voiture et l’estimation de la valeur résiduelle de celle-ci au terme du leasing. Or, toute cette data peut aider à anticiper cette valeur résiduelle avec plus de précision.» Et donc permettre d’ajuster le prix du leasing. «Détenir une évaluation précise et continue de ses actifs favoriserait de meilleures prises de décisions. Et contribuerait à rendre l’entreprise plus compétitive», poursuit German Castignani.

Ce dernier voit d’autres utilisations possibles pour cette technologie. Par exemple, en matière d’optimisation dans le choix d’un véhicule pour un client ou de compréhension des schémas de charge des véhicules électriques.

Une maintenance prédictive

Parmi l’ensemble des applications possibles, celle qui semble la plus évidente se situe au niveau des gains en termes de maintenance prédictive et automatisée. «Disposer des informations du jumeau numérique peut permettre d’opti­miser la planification des entretiens, mais aussi d’aider à identifier les composants qui risquent de tomber en panne prochainement. Ce serait un appui crucial pour un gestionnaire de flotte, détaille German Castignani. Et puis, ce suivi en temps réel des données ouvre également la porte à la création de nouveaux contrats de location, entièrement flexibles. Avec, par exemple, une tarification mensuelle basée sur votre distance parcourue réellement, l’impact de votre conduite sur l’usure des composants ou même les risques que votre manière de conduire induit.»

Un domaine qui intéresse le List

Une manière de réfléchir qui peut également s’appliquer au secteur de l’assurance. À ce niveau-là, on note d’ailleurs que le constructeur Tesla n’a pas hésité à déjà franchir le pas, sa division Assurance offrant certaines polices basées sur les données du conducteur en temps réel. Ce qui amène forcément à se poser des questions quant à l’accès aux ­données, mais aussi au niveau du consentement que doit accorder le conducteur. Autant de questions actuellement débattues au Parlement européen dans la foulée de la loi sur les données, qui a été adoptée mi-mars.

«Il ne faut pas s’imaginer une telle ­utilisation de la data comme étant une nouvelle sorte de Big Brother. Le but n’est ­certainement pas d’être trop intrusif dans la vie des citoyens ou de ‘blacklister’ ­certaines personnes, mais plutôt de ­réussir à affiner certains modèles aidant à la prise de décisions», tempère ­German ­Castignani. En attendant, ce dernier ne peut le cacher, il lui tarde de travailler sur ce genre de modèle et d’implé­menter les idées qu’il a à l’esprit. «­D’ailleurs, si certains acteurs liés au secteur du car fleet sont, eux aussi, ­tentés, ils sont les bienvenus au List…», conclut-il. Le message est passé.

Julien Carette

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