Un outil permettant une planification urbaine pertinente est en cours de développement au Luxembourg Institute of Science and Technology (List).
Source : Le Jeudi
Publication date : 04/21/2016
Les chercheurs du Luxembourg Institute of Science and Technology (List) sont en passe de développer un outil pour planifier les différents réseaux urbains (énergie, eau, transport…). Tout a commencé en 2010 avec un projet dont le but était de réduire les émissions de CO2 dans le milieu urbain par le biais de l'analyse énergétique. Ce projet, appelé Music (Mitigation of CO2 emissions in urban areas: solutions for innovative cities), réunissait des chercheurs de l'ancien CRP Tudor et du Drift (Dutch Research Institute for Transitions) qui ciblaient cinq villes européennes: Gand, Rotterdam, Montreuil, Aberdeen et Ludwigsbourg. Concrètement, les chercheurs ont créé une plate-forme virtuelle connectée via internet à de nombreuses sources de données qui ont trait à l'énergie. Qu'il s'agisse du coût, du potentiel en énergies renouvelables, du gaspillage, de l'exposition au soleil ou de la couverture du ciel par les nuages, la plate-forme permet de retranscrire ces renseignements sur une carte géographique afin d'illustrer ce qu'il est possible ou opportun d'implémenter dans le domaine de la politique énergétique.
Music a eu l'idée d'allier sciences humaines et sciences dures. Les chercheurs néerlandais impliqués dans le sujet ont ainsi eu pour mission de préparer le terrain en sensibilisant les citoyens et les décideurs des cinq villes autour de l'idée du«tournant énergétique».
Smart City
« Il s'agissait d'abord de réunir toutes les personnes qui avaient des idées précises sur le sujet ou une envie forte de participer à ce changement. Les communes et les villes ont créé des possibilités de rencontres et d'échanges pour que les différentes idées donnent une direction précise au projet. Les chercheurs demandaient aux citoyens d'imaginer leur ville en 2050. Ensuite, ils ont essayé d'élaborer un programme qui permettait d'atteindre les objectifs énergétiques », se rappelle Ulrich Leopold, géographe et responsable du projet au sein du List. Le succès de ce projet financé dans le cadre d'un programme européen jusqu'en 2015 est indéniable. Les cinq villes qui ont servi de cobayes continuent à s'en servir.
Pour les chercheurs, il n'est en revanche pas question de se reposer sur leurs lauriers. La plate-forme, entretemps baptisée Smart City (ville intelligente), offre en effet des possibilités quasi infinies. Il suffit de l'alimenter avec des liens contenant des informations actuelles dans différents domaines. Car les données ne sont pas stockées et sauvegardées sur un serveur qui se trouve à Luxembourg, mais elles proviennent de sources différentes. C'est un choix logique qui permet davantage de flexibilité et l'accès à des informations toujours à jour.
Prêt pour le marché
La mise en place d'un tel système nécessite toutefois des normes internationales tant au niveau des formats des données qu'au niveau des outils permettant de les exploiter par le biais de la plate-forme. Smart City contient en effet des outils ou des logiciels élaborés par les chercheurs du List et peut aussi se servir, également grâce à un lien, d'autres outils développés ailleurs. La plate-forme permet donc à la fois de centraliser les données et les logiciels dans les différents domaines qui peuvent avoir trait à la planification urbaine: énergie, gestion de l'eau, mobilité et transport, qualité de l'air et surfaces agricoles.
Pour l'instant, les chercheurs du List n'en sont cependant pas encore à cette étape-là. Le but est de mettre Smart City sur le marché dans les prochaines années. En premier lieu, ce sont les communes et les villes qui peuvent en bénéficier. Mais rien n'exclut l'usage de l'outil par des entités privées: « Nous pouvons imaginer que des sociétés actives dans les secteurs de l'énergie, par exemple, créent des applications se basant sur Smart City afin de calculer l'opportunité d'installer un panneau photovoltaïque. D'autres usages pratiques sont aussi envisageables », développe Ulrich Leopold.
Le géographe espère que Smart City sera bientôt repris par des investisseurs privés. Ce qui nécessite encore un peu de travail puisqu'il existe une échelle (Tecnology Readiness Level, TLR), allant de 0 à 9, qui évalue si un prototype est prêt ou non à être intégré sur le marché: « Nous nous situons entre 6 et 7. Notre approche consistant à accéder à des données et à des outils informatiques via un lien internet est encore récente. Il faut encore peaufiner les interactions et veiller à ce que les normes de compatibilité fonctionnent à 100%. »
Les acteurs publics pourraient grandement en bénéficier. Le fait de retranscrire données et analyses sur des cartes géographiques avec la possibilité de créer des scénarios facilite la compréhension de sujets sur lesquels ne débattent d'habitude que des spécialistes: « Il faudra toujours des personnes spécialisées pour manipuler la plate-forme, mais les résultats seront lisibles pour tout un chacun. »
Grâce à d'autres technologies devenues courantes au fil du temps, comme l'écran tactile, les scientifiques imaginent la création de tables tactiles capables de reconnaître aussi des objets thématiques qu'il suffit de poser sur l'écran pour qu'une carte spécifique à un domaine précis s'affiche. Cette technologie existe d'ailleurs déjà et le showroom de la Maison de l'innovation à Belval possède deux de ces tables. L'écran n'est pas tactile, mais il reconnaît les objets. « Nous pouvons nous imaginer différentes possibilités, mais je crois qu'il faudra jouer sur le tactile et sur la reconnaissance d'objets. C'est en tout cas dans cette direction que nous voulons nous diriger. »
Bref, centraliser les données et les outils et fournir des analyses facilement lisibles pour que les décideurs puissent s'orienter. Une approche intéressante au moment même où le FNR (Fonds national de la recherche) essaie de mettre en place un dialogue entre la classe politique et les scientifiques. D'après Ulrich, un bon travail scientifique qui permet une grande fiabilité serait un avantage dans de telles discussions. Honnêteté scientifique oblige, Smart City permet aussi d'indiquer la qualité et la fiabilité de l'analyse.
Maurice Magar