Laurent Pfister, responsable de l’unité Environmental Sensing and Modeling au sein du Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST), nous parle des conséquences du changement climatique sur son travail d’hydro-climatologue.
Source : infogreen.lu
Publication date : 01/15/2025
En quoi consiste votre travail au sein du Luxembourg Institute of Science and Technology?
Nous intervenons dans plusieurs domaines, avec pour principal objectif de comprendre comment les systèmes environnementaux réagissent au changement global. Pour cela, nos équipes observent l’environnement et la biodiversité à travers de multiples paramètres, grâce à des capteurs que nous installons sur le terrain ou encore avec des drones et des satellites. Nous utilisons également des modèles climatiques qui nous permettent de mieux comprendre les impacts du changement global dans l’espace et le temps.
Quels sont les enjeux liés à l’eau au Luxembourg?
Un exemple est celui de la ville de Luxembourg. Aujourd'hui, environ 50% de son eau potable est captée au niveau des sources du Grès de Luxembourg. Cependant, des limitations peuvent s’imposer au niveau de leur exploitation. Par exemple, face à une sècheresse prolongée, le débit des sources pourrait diminuer et il faudrait donc trouver de l’eau ailleurs. Une option serait d’aller puiser dans des nappes plus profondes, mais elles mettent parfois des milliers d'années à se reconstituer et forer un puit peut causer une contamination de l’eau qui est très pure dans ce type d’aquifère. Ce n’est donc pas une bonne solution.
Ça c’est l’aspect quantitatif, mais il y a aussi un aspect qualitatif. En cas d’accident industriel, de renversement d’un camion-citerne, ou encore suite à l’épandage de produits phytosanitaires, certains aquifères mettront plusieurs décennies à être de nouveau exploitables. Sans parler des conséquences pour la biodiversité. Tout cela est surveillé de près au Grand-Duché et en Europe.
Quels sont les impacts du changement climatique sur le cycle de l’eau?
On parle surtout d'une intensification du cycle hydrologique. Il ne pleut peut-être pas plus sur une année, mais il pleut plus intensément à certains moments, en alternance avec des périodes très sèches.
Lors des crues éclair, les premiers centimètres du sol vont se saturer en l'espace de quelques minutes. L'eau va commencer à ruisseler en surface, pouvant ainsi emporter des polluants ou encore des bactéries jusqu’à une source, qui sera par conséquent contaminée. Ces crues participent aussi fortement à l’érosion des sols. À l’inverse, en période sèche, les sols deviennent très secs, ils s’imperméabilisent et l’eau ne peut plus s’y infiltrer. C’est un cercle vicieux.
L’étude de l’eau permet-elle d’anticiper la survenance d’évènements climatiques extrêmes?
Il y a des très bons modèles de prévision météorologique sur quelques jours ou semaines, mais dès qu’on se projette sur des mois, des années ou des décennies, le niveau d’incertitude est assez conséquent. Tout cela alors que notre monde évolue de plus en plus vite, parce que l’Homme joue un rôle de catalyseur.
Nos modèles sont performants pour simuler des cas de figure qui ont déjà existé, qui ont été documentés et mesurés, mais ces données ne couvrent pas tous les extrêmes qui ont pu exister avant les premières observations du climat et qui pourraient (re)survenir à l'avenir. Au Luxembourg, les premiers relevés quotidiens basiques de températures datent de 1838 et les premières mesures de pluie de 1854. On a commencé à faire des mesures de manière systématique seulement à partir du milieu des années 1990. Nous manquons donc malheureusement de recul.
Quelles sont les applications concrètes de vos travaux?
Il y en a beaucoup! Concernant l’exo-hydrologie, nous avons un projet avec l'Agence spatiale européenne où nous développons un instrument capable de faire des mesures sur le comportement des molécules d’eau dans un environnement très extrême, tel qu'il existe sur la Lune. On peut même imaginer que cet instrument puisse un jour être utilisé par des entreprises privées, car le space mining (exploitation minière dans l’espace, ndlr) est un vrai sujet.
Nous développons aussi des algorithmes, permettant par exemple d’extraire des informations sur l’eau (p.ex., champs d’inondation) à partir d’images satellites, qui sont utilisés tous les jours par des start-up et des entreprises.
Vous avez aussi participé à la conception de l’exposition "Cours d’eau et climat du Luxembourg au fil du temps" qui sera présentée au Musée national d'histoire naturelle du 30 janvier au 16 mars 2025. Pouvez-vous nous en dire plus?
Comme je le disais plus tôt, nous manquons de données anciennes sur l’eau. Depuis une trentaine d’années, nous épluchons donc toutes sortes d’archives pour tenter d’obtenir des traces de mesures prises au fil des années. Que ce soit dans des documents retrouvés dans des églises, des mairies ou dans les journaux. L’idée est venue de là, nous avons voulu montrer comment, sur ces 175 dernières années, nous avons réussi à aboutir à un réseau très moderne de captage et d’échange d’informations sur l’eau et le climat.
Dans l’exposition, on retrouvera des instruments de mesures très anciens, mais aussi d’autres très modernes. Il y aura des ouvrages datant de la fin du 18e siècle qui faisaient déjà le lien entre le climat et certaines maladies. Les visiteurs pourrons aussi découvrir l’histoire d’un des premiers observateurs du climat au Luxembourg, un professeur de lycée qui a relevé très minutieusement des données tous les jours pendant 30 ans. À l’époque, il avait fait une demande à la Chambre des députés pour avoir un instrument de mesure financé par l'État, qui a refusé. Avec ce type de témoignage, on voit comme les choses ont bien évoluées, même en seulement quelques décennies!
Propos recueillis par Léna Fernandes
www.infogreen.lu/le-changement-climatique-a-intensifie-le-cycle-de-l-eau.html