Les eaux usées, une source étonnante d'analyse du covid

Lancé en plein pendant la crise sanitaire, le projet Coronastep du LIST permet depuis trois ans de suivre l'évolution du SARS-CoV-2 grâce à l'analyse des eaux issues des stations d'épuration du Luxembourg.

Source : Le Quotidien
Publication date : 12/06/2023

 

Dans une petite salle étroite fermée par plusieurs portes, Aude Corvisy, ingénieure technicienne du Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST), est en pleine manipulation de plusieurs échantillons issus des eaux usées du Grand-Duché. Pendant environ 1 h 30, elle va extraire les virus qu'elle souhaite faire analyser. Cette étape terminée, un autre scientifique va prélever l'ARN, autrement dit le matériel génétique du virus. Les échantillons vont ensuite être analysés par le biais d'une méthode bien connue dans les laboratoires d'analyse médicale, celle de la réaction de polymérisation en chaîne (PCR). Dernière étape : la phase analytique qui permet aux scientifiques d'estimer la concentration du SARS-CoV-2 ou d'autres virus. Grâce à cela, ils pourront établir des tendances sur l'évolution et la propagation de ces virus. Des informations qu'ils retracent ensuite dans un bulletin transmis, actuellement, toutes les deux semaines au ministère de la Santé.

Pour permettre d'avoir de tels résultats, les scientifiques utilisent un processus connu dans le domaine depuis plusieurs années. Cette méthode, c'est celle de l'analyse des eaux usées. Ainsi, chaque semaine, les chercheurs du LIST reçoivent des échantillons de treize stations d'épuration du Luxembourg. Réparties sur l'ensemble du territoire, du nord au sud, elles permettent d'établir une analyse stratégique sur un peu moins des trois quarts de la population du Grand-Duché, soit environ 450 000 personnes. Mais alors, pourquoi les eaux usées sont-elles utiles dans la détection des virus? «On sait que le virus SARS-CoV-2 et d'autres virus respiratoires ou de gastro-entérite sont excrétés dans les selles des personnes infectées», explique le Dr Leslie Ogorzaly, coordinatrice du projet Coronastep.

Si parfois d'autres agents pathogènes, comme des bactéries, sont également présents dans les eaux usées, les scientifiques se concentrent uniquement sur les virus dont ils souhaitent faire une analyse plus poussée. «C'est une recherche ciblée et non systématique, car on sait que l'on retrouve beaucoup de choses dans les eaux usées (…). On sait aussi qu'elles peuvent être altérées, par exemple, par d'autres substances comme les détergents ménagers. Mais quand nous l'analysons, le SARS-CoV-2n'est plus infectieux, il ne reste que son matériel génétique, contrairement aux virus de gastro-entérite qui restent vivants dans les eaux usées», précise la virologiste.

Grâce à ce processus, les scientifiques ont pu détecter la première apparition de coronavirus sur le sol luxembourgeois, en février 2020. «Quand ça a constitué une véritable menace pour l'Europe, on s'y est mis tout de suite. On travaillait déjà sur les eaux usées depuis les années 2008-2009, mais avec d'autres virus. Grâce à cela, on a pu être tout de suite opérationnels», indique Henry-Michel Cauchie, directeur du projet Coronastep. Après un important travail durant les deux premières années de la pandémie, les scientifiques du LIST ont, depuis, étendu leur réseau de surveillance à d'autres virus. «Au niveau des pathologies respiratoires, on a démontré que cela fonctionnait bien sur le virus de la grippe, mais également sur celui des bronchiolites. On peut aussi utiliser ce procédé pour d'autres pathologies comme les virus de gastro-entérite ou les hépatites par exemple (…). On est encore en phase de recherche pour ces virus afin de démontrer que cela fonctionne et que l'on a bien une relation entre les échantillons et les résultats cliniques», détaille Leslie Ogorzaly.

Un projet européen sur les eaux usées

Trois ans après la pandémie mondiale, les scientifiques du LIST se souviennent d'une période de travail «intense». «Parfois, on travaillait tard le soir parce que les rapports étaient envoyés au ministère le jour même de l'analyse, il n'y avait pas de délais comme aujourd'hui», confie Leslie Ogorzaly. Une pression que les scientifiques ont su mettre de côté. «On n'avait pas la même que ceux qui faisaient du reporting sur les cas hospitalisés en soins intensifs. On a une certaine distance avec les eaux usées», ajoute Henry-Michel Cauchie. Pour lui, cette période a aussi été une façon de créer des liens avec les équipes scientifiques des autres pays européens. «On a beaucoup échangé avec les Pays-Bas, la France ou la Belgique. D'ailleurs, pour le début de l'année 2024, nous sommes intégrés à un projet européen où nous allons, avec d'autres pays qui ont aussi de l'avance dans cette méthode, aider d'autres nations à développer ce système de surveillance des eaux usées», assure le Dr Cauchie.

Dans le cadre de cette commission européenne, les scientifiques du LIST souhaitent, à partir du début de l'année prochaine, lancer un observatoire des eaux usées pour permettre une analyse épidémiologique de ces différents virus, mais aussi dans le but de détecter très rapidement de nouveaux virus émergents.
 

Un virus toujours présent

Si aujourd'hui la situation sanitaire s'est nettement améliorée, l'apparition de nouveaux virus n'est pas à exclure dans le futur.

L'Europe connaîtra-t-elle une nouvelle pandémie dans les années à venir? Pour Leslie Ogorzaly et Henry-Michel Cauchie, tous deux à la coordination et direction du projet Coronastep, l'apparition de nouveaux virus reste fortement possible dans le futur. «Il y a deux types de virus qu'on pourrait voir comme problème émergent. Il y a ceux qui viennent de milieux naturels comme la forêt. Il y en a d'autres qui sont aussi portés par des animaux, comme les moustiques, les chauves-souris ou encore les chameaux», indique Henry-Michel Cauchie.

Une anticipation dont le but est, in fine, de détecter un possible nouveau virus. «Avec l'expérience que l'on a, si un nouveau virus arrive, on sait qu'il va apparaître dans une région du monde et se propager très vite par les transports. On peut, par exemple, analyser les eaux usées des aéroports. C'est ce que nous avons fait pendant la crise à Luxembourg. Cela permet de savoir à partir de quelle région du monde un virus est en train de se propager», analyse le directeur de Coronastep.

Un virus devenu saisonnier

À l'image de la grippe, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé le coronavirus comme virus saisonnier. Aujourd'hui, s'il est présent, il reste beaucoup moins virulent que durant la pandémie, comme l'atteste le directeur du Coronastep. «On voit qu'il y en a même plus que durant la toute première vague. Mais la grande différence, c'est que les gens sont moins sévèrement touchés, donc on a beaucoup moins de personnes en hospitalisation et surtout en soins intensifs. La gravité de la maladie a changé. Par contre, on est plus inquiets sur le covid long et les séquelles qu'il peut engendrer.»

Grâce à la méthode des eaux usées, les scientifiques ont constaté depuis fin septembre et début octobre un pic des contaminations. «On est sur un plateau avec des valeurs assez élevées. Les gens ne se testent plus mais nous, on continue à le voir grâce aux eaux usées», précise Henry-Michel Cauchie.

Emilie Dias

 

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