Mobilité: un poumon fatigué et un cerveau attendu

47 % des personnes interrogées par le Liser, dans la première étude sur les attentes liées à l’intelligence artificielle, espèrent un système de gestion du trafic. Histoire de passer moins de temps sur la route.

Source : PaperJam
Publication date : 11/10/2022

 

L’exercice est hypnotique. Invitée à partager ses données dans le cadre d’une directive européenne de 2010 sur le déploiement de systèmes de transport intelligents, l’Administration des ponts et chaussées a commencé à mettre en ligne 24 jeux de données de mobilité. Dont le comptage des véhicules sur les autoroutes, les routes nationales, les chemins et les pistes cyclables. Jour par jour, ces veines alimentent le cœur de l’économie luxembourgeoise.

Par exemple, en avril dernier, 20.000 voitures sont arrivées de France par l’autoroute en provenance de Thionville et de Metz, 7.818 par Rodange, 6.224 par Esch et 5.337 par Frisange. La moyenne mensuelle cache des réalités beaucoup plus compliquées à appréhender: la route allant de Roussy à Frisange est celle qui supporte les plus grandes variations, jusqu’à +30%; mais les Belges, qui ne représentent que 23,39% de l’ensemble des frontaliers, ont établi un nouveau record, à 28.541 voitures sur l’autoroute en provenance d’Arlon le 2 avril, pour une moyenne à près de 21.000 voitures; les Allemands, qui sont 50.000 à venir travailler au Grand-Duché chaque jour, ne sont que 10.426 à avoir emprunté l’autoroute principale de leur pays.

Le Cita de tous les combats

Au fur et à mesure que l’on superpose les données sur une carte du pays, apparaissent les difficultés à imaginer un système commun de gestion du trafic. D’autant qu’il faut y intégrer les données du rail et ses impressionnants aléas, et celles du transport par camion, ne pas oublier les traversées autrefois opportunistes de touristes du nord vers le sud de l’Europe, alléchés par le prix du carburant meilleur marché, essayer de forcer l’adoption du covoiturage ou des transports publics, inviter à se garer en dehors de la capitale dans les park and ride ou encore saupoudrer le tout de conditions météorologiques. Autant dire que même avec 160 kilomètres d’autoroutes, 20 tunnels, 600 caméras et 200.000 équipements de surveillance, le Cita (Contrôle et information du trafic sur les autoroutes) n’est pas prêt à répondre aux attentes modernes. Et ne le sera probablement jamais, malgré son incessant travail à rendre la vie des «voyageurs» plus facile.

Dans son dernier Plan national de mobilité, le ministre de la Mobilité, François Bausch François Bausch, n’évoque même plus un brainstorming. Dans son bureau qui domine à la fois l’aéroport et tous les grands axes routiers, le ministre déi Gréng a dû tout reprendre à zéro. Ou comment passer d’une politique de rattrapage au fur et à mesure des créations nettes d’emplois à une politique d’anticipation. Avant de rêver de voitures autonomes, de voitures volantes ou de l’Hyperloop, le ministre avance avec des petites touches vers différents systèmes de gestion des parkings, de régulation du trafic (avec par exemple des caméras capables parfois de retrouver les conducteurs en infraction), de fourniture d’informations en temps réel, voire de fourniture de solutions de mobilité pour aller d’un point A à un point B, quel que soit le moyen de transport ou l’infrastructure de communication entre les véhicules.

Jumeau numérique

«Beaucoup de systèmes différents existent sur le marché pour la gestion du trafic au sens large du terme, qu’il s’agisse de véhicules motorisés ou non», explique le chef du service IT pour services les innovants du List (Luxembourg institute of science and technology), Sébastien Faye. «Si on parle par exemple de gestion des feux de circulation, beaucoup de villes utilisent, et depuis longtemps déjà, des systèmes pour comptabiliser le trafic, en utilisant des boucles à induction et connectées à des interfaces de contrôle des feux ou d’autres types de capteurs. Ces données sont utilisées pour créer des plans de feux horaires, parfois avec la possibilité d’allonger des phases de feux verts ou de donner la priorité à des voies ou des types de véhicules (par exemple aux bus ou aux véhicules spéciaux). Des solutions utilisant de la communication entre véhicules et infrastructures ont également vu le jour, de même que de nouveaux types de capteurs permettant de détecter le type de véhicules ou éventuellement le nombre de personnes attendant à un arrêt. Il y a pour cela besoin d’IA et de connectivité fiable (5G par exemple) pour pouvoir capter, analyser et décider d’une action à accomplir rapidement. Ces systèmes utilisent de plus en plus des mécanismes de prédiction et d’apprentissage en vue d’anticiper des montées de trafic ou de réagir à des accidents.»

«Les systèmes poussés par le monde de la recherche, comme l’utilisation de jumeaux numériques, qui mêlent des éléments physiques et digitaux, de même que ces systèmes de gestion du trafic sont expérimentés sans que l’adoption soit uniforme dans les différentes villes et différents pays, complète-t-il. Les défis dans le futur seront notamment de rendre ces systèmes interopérables davantage résilients aux potentiels problèmes rencontrés aujourd’hui (besoin de réseaux fiables et réactifs, d’anticipation, et d’une gouvernance de donnée harmonisée). La considération de nouveaux modes de transports, plus flexibles que ceux existants, est également clé.»

Thierry Labro

 

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