Textilcord est le parfait exemple de l'histoire de l'industrie au Luxembourg. Née au moment de la première «diversification» de l'économie en plein déclin de la sidérurgie, elle a connu la mondialisation et ses tourments et s'est redonné une nouvelle jeunesse depuis quelques années grâce à un partenariat public-privé avec le CRP Henri Tudor. Elle produit aujourd'hui les «tissus» qui tapissent l'intérieur de 25 millions de pneus de taille moyenne par an. Son intégration au groupe Glanzstoff et son nouveau positionnement vers la haute valeur ajoutée ont redonné confiance aux 140 employés.
Source : Luxemburger Wort
Publication date : 01/26/2016
L'histoire de Textilcord est construite sur un double fiasco. Ecologique et économique. A Steinfort, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les Américains obtiennent l'autorisation de transformer en une usine de phénol l'aciérie qui fabriquait des pièces de tanks allemands et qu'ils avaient transformée en entrepôt.
Faute de rentabilité et après deux accidents chimiques, en 1948 et 1957, qui ont tué la totalité des poissons de l’Eisch jusqu’à Mersch, l'usine est fermée en 1957...
Aussitôt reprise par la commune avec l'appui du gouvernement: hélas, la «Société chimique de Steinfort», confiée au Bavarois Lowi, souffre tellement de la concurrence américaine qu'elle ne tarde pas à se trouver à nouveau en grande difficulté.
De la mondialisation à la recherche
Parmi ces concurrents, l'Américaine US Rubber a décidé de mettre un pied en Europe, mais avec un partenaire. Ce sera avec le Belge Englebert, du nom du fondateur de cette marque de pneu, un siècle plus tôt, par un officier de l'armée belge.
Le groupe sera rebaptisé Uniroyal en 1961 et arrive au Luxembourg après la loi-cadre de 1962 qui doit permettre d'attirer de nouveaux investisseurs ou de nouveaux partenaires industriels dans un pays qui se cherche encore.
A côté de Goodyear, installée à Colmar-Berg depuis 1951, il y a un créneau: l'usine produit des toiles de renfort pour l'industrie du pneumatique et le groupe sera vendu à Continental en 1978. L'usine luxembourgeois intègre la division «Conti Tech» en 1984. Dans le grand casino mondial de l'économie, la «consolidation» – ce moment où les grands acteurs se rejoignent, s'engloutissent, se séparent – n'est pas encore arrivée et les activités chimiques d'Uniroyal-Englebert seront cédées à BF Goodrich en 1985, elle-même revendue à Michelin cinq ans plus tard.
Le 2 octobre 1997, Continental annonce se séparer de son usine luxembourgeoise au profit du groupe autrichien Glanzstoff-Austria GmbH, pour un montant resté confidentiel. «La production d'armature textile comme matériel de base à la fabrication de pneus et de produits caoutchouteux industriels n'est plus considérée comme une activité centrale par Continental», a expliqué la firme de Hanovre. Le groupe a précisé qu'un contrat à long terme pour la livraison à Continental de ces armatures avait été signé avec Glanzstoff. Forte de 216 employés, l'usine a réalisé un chiffre d'affaires de 333 millions de francs (50 millions d'euros) en 1996 et a dégagé des «bénéfices satisfaisants».
Depuis trois ans, Glanzstoff, une emblématique société autrichienne spécialisée dans le viscose appartient à la holding de l'homme d'affaires autrichien Cornelius Grupp – qui sera là ce soir pour les cérémonies officielles. Un Glanzstoff Group est d'ailleurs créé avec l'ajout, au côté de l'usine autrichienne, des unités luxembourgeoise et tchèque. En quinze ans, le groupe est devenu le plus gros fournisseur en viscose des fabricants de pneus, ce qui tombe bien puisqu'il travaille pour tous les grands acteurs (Michelin, Continental, Goodyear, Pirelli) pour la fibre mais aussi d’autres fibres synthétiques comme le nylon, le polyester ou l'aramide en toiles imprégnées. Les manufacturiers les calandrent en les recouvrant de caoutchouc pour fabriquer des pneus.
Deuxième diversification en gestation
Seulement là encore, la crise mondiale touche l'industrie automobile et se répercute sur ses fournisseurs, menaçant le site, ses 160 salariés et ses 60 millions d'euros de chiffre d'affaires... A la situation conjoncturelle qui voit le chiffre d'affaires baisser de 40 à 50 % s'ajoutent l'incendie et la fermeture d'un site du groupe en Autriche. Et là encore, Textilcord va rebondir, en profitant de l'environnement créé par l'Etat luxembourgeois: un partenariat public-privé initié par Luxinnovation est mis sur pied jusqu'à l'an dernier avec le centre de recherche public Henri Tudor pour amener la production de l'industrie du pneu vers de nouveaux marchés, au début de niche, comme les tuyaux pour plateformes pétrolières, des coussins de levage ou encore des réservoirs flexibles.
Selon l'ex-directeur général, José Beaudoint, en avril 2014 dans le magazine de l'agence d'innovation, cela a permis à son groupe d'accéder à une nouvelle technologie, à des tests de pointe et des possibilités d'un brevet. «Dans le pneumatique, nous sommes reconnus. Certains clients font leur outsourcing avec nous tandis qu'avant, nous étions plutôt façonniers», racontait-il alors. «Sans l'intervention de Luxinnovation dans le dossier, on aurait dû renoncer car la partie contractuelle pour mettre en place la collaboration était vraiment trop lourde», explique M. Beaudoint.
«Aujourd'hui», explique son successeur depuis plus d'un an, Arnaud Closson, «nous fabriquons 11.000 à 12.000 tonnes de tissus pour l'industrie du pneu, ce qui représente 25 millions de pneus de taille moyenne» avec les trente machines de retordage, les dix métiers à tisser et la ligne d'imprégnation, qui occupent 140 personnes, dont une équipe de chercheurs de six personnes. «Nos produits équipent des pneus à haute performance et sont issus d'un long processus de réflexion avec les industriels eux-mêmes en fonction de leurs attentes. Aujourd'hui, ils veulent par exemple que les pneus allègent la consommation d'essence, qu'ils soient moins lourds ou plus performants.»
Derrière les haies de trois mètres de haut, juste à côté de la frontière avec la Belgique, Textilcord travaille avec confiance. Sa capacité à réinventer la roue, ou plutôt l'intérieur de la roue, assurera son avenir. Pour une fois, que la roue tourne n'est pas une fatalité.
Une usine aux avant-postes Le nouveau directeur du site, Arnaud Closson, défend la stratégie de «niches» Steinfort. La «troisième révolution industrielle», la quatrième parfois, défend une production «customisée», par opposition à une production de masse. Pour Textilcord à Steinfort, le virage a déjà été pris il y a cinq ans: plus petite unité du groupe Glanzstoff, elle parie sur le développement de produits «de niche» en collaboration, d'un côté, avec les centres de recherche et, de l'autre, avec ses clients. Notamment pour la colle utilisée pour l'imprégnation, qui doit être à la fois plus efficace dans toutes les circonstances et plus respectueuse de l'environnement. «Nous nous réinventons tous les jours», explique le nouveau directeur du site, Arnaud Closson, très intéressé par le futur centre des matériaux. «En allant voir avec des chercheurs comment nous pourrions faire évoluer nos produits, nous avons regagné la confiance de nos clients avec lesquels nous nous échangeons en permanence pour mieux répondre à leurs attentes. Malgré une concurrence asiatique plus forte que jamais, nous avons stabilisé notre chiffre d'affaires et nous avons pu réembaucher.» En prenant le parti d'investir 3 à 4 % du chiffre d'affaires dans la recherche de haute valeur ajoutée, l'usine dans laquelle le chef de la diplomatie luxembourgeoise, Jean Asselborn, a fait ses débuts en 1967, est capable de fournir plus vite et dans de meilleures conditions que ses autres concurrents. «Avec un actionnaire qui est lui-même un industriel reconnu, avec une vision à long terme très appréciable, qui a su coordonner les activités de ses différentes unités de production, en République tchèque et en Italie, nous sommes à moins de six heures de camion de tous nos clients», explique encore M. Closson. «Et les Chinois sont désormais confrontés à des problèmes que nous connaissons, comme celui de la productivité, de l'énergie et de la pollution, avec des salaires qui augmentent...». |
THIERRY LABRO