SES a ouvert la voie. Derrière le leader mondial ou autour de lui, les entreprises ont créé un écosystème, un cluster, une plateforme de développement. Et l’Europe de l’Esa n’est pas une limite.
Source : PaperJam
Publication date : 11/10/2015
Le 6 mars dernier, lors de sa visite officielle au Luxembourg, le président de la République française, François Hollande, accompagné de certains de ses ministres, s’est retrouvé à Betzdorf, à la Société européenne des satellites (SES), premier opérateur mondial de satellites et fleuron de l’industrie aérospatiale du Grand-Duché.
Sans refaire l’histoire, qui remonte aux années 80, on peut rappeler que SES gère aujourd’hui une cinquantaine de satellites qui opèrent dans le domaine audiovisuel, pour les télécoms, mais aussi des clients corporate ou des gouvernements. Le groupe luxembourgeois travaille notamment en étroite collaboration avec Thales et Airbus Defence and Space, ainsi qu’avec le programme ArianeEspace pour le lancement des satellites européens.
François Hollande, en VRP de la République, en avait profité pour parapher quelques contrats estampillés SES, avec ArianeEspace pour le 41e lancement du satellite tout électrique SES-15, et avec Airbus pour la réalisation d’un douzième satellite de télécommunication tout électrique, le SES-14 (le troisième contrat conclu par les deux sociétés en moins d’un an).
Quelques semaines plus tard, à la mi-juin, ces acteurs se retrouvaient en France, dans une vision élargie à beaucoup d’autres, dans le cadre du 51e Salon international de l’aéronautique et de l’espace du Bourget, aux portes de Paris. Un incontournable du secteur, où grouillent plus de 2.250 exposants internationaux occupant 330.000m² de surface d’exposition, quelque 200.000 visiteurs et 285 délégations officielles venant de 102 pays.
Le Grand-Duché y a conquis sa place depuis quelques années, mais les efforts de présence et de promotion y redoublent, à la mesure des ambitions luxembourgeoises. En 2015, c’était aussi l’occasion de marquer le coup, de signer, entre le ministre Étienne Schneider et le directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA), Jean-Jacques Dordain, un acte officiel pour le 10e anniversaire de l’adhésion du Grand-Duché à l’ESA. Accessoirement, le Luxembourg assure toujours la coprésidence de l’agence – avec la Suisse – jusque la fin de cette année.
En tout cas, «un grand nombre de contacts avec des fournisseurs, clients et partenaires potentiels des acteurs luxembourgeois du spatial ont été initiés au Bourget», indique le Luxembourg Space Cluster.
Success-stories
De fait, encouragé par les succès de SES et de ses satellites Astra, qui ont favorisé l’implantation d’entreprises dynamiques dans le secteur aérospatial, le Grand-Duché s'efforce d'attirer des PME autant que des grandes entreprises en leur apportant, comme on dit chez Luxinnovation (agence de promotion qui anime le cluster spatial), «un soutien résolu et des structures spécialisées».
Des structures comme le Groupement luxembourgeois de l'aéronautique et de l'espace (GLAE) ou le Luxembourg Space Cluster sont à la disposition des entreprises et centres de recherche pour les aider à trouver leurs marques dans le secteur aérospatial.
Quelques success-stories ont éclos au fil des ans et s’écrivent encore en lettres d’or… et en bons chiffres.
Le secteur dans son ensemble compte aujourd'hui une trentaine de sociétés et des organismes de recherche (quelque 700 emplois selon les données du cluster) qui couvrent des domaines très divers. Le segment aérospatial est axé sur la production de structures de satellites (Euro-Composites), l'intégration de micro-satellites (Luxspace) ou les systèmes de propulsion électrique (Elwing). Le segment terrestre s’appuie sur des stations terrestres (SES et Hitec Luxembourg), des équipements mécaniques et électriques de support terrestre (Gradel) ou des réseaux de communication (Post et Telindus). Le segment services va du téléport au haut débit par satellite en passant par des systèmes de sécurité ou de prévention des catastrophes naturelles notamment.
Les organisations publiques de recherche ne sont pas en reste, avec un accent mis sur les partenariats publics-privés. Intégré désormais sur le campus de Belval, le List (Luxembourg Institute of Science and Technology) se veut pointu dans le domaine, entre autres via l’Erin (Environmental Research and Innovation), un département qui œuvre dans le management du risque environnemental via les données issues de l’observation satellitaire de la planète, ou le MRT (Materials Research & Technology), qui développe des technologies applicables à l’industrie spatiale. Voisin de hub innovant, le Snt (Interdisciplinary Centre for Security, Reliability and Trust) de l’Université du Luxembourg mène des activités de recherche dans les systèmes satellitaires, sous l’angle de l’application, des services, des réseaux hybrides, des technologies de transmission/réception, voire des défis légaux et réglementaires. L’interdisciplinarité et les synergies étant des composantes récurrentes du domaine spatial, le Luxembourg a, d’entrée de jeu collaboratif entre les instances officielles et les initiatives entrepreneuriales, joué cette carte.
Le plus bel exemple, c’est évidemment le plus récent: LuxGovSat, joint-venture entre l’État luxembourgeois et SES. Le Grand-Duché est en effet devenu un acteur majeur de la politique spatiale à usage économique et militaire, en programmant de lancer (en 2017) son nouveau satellite, mû par cette co-entreprise. SES-16/GovSat est un satellite multimission utilisant des fréquences militaires et qui couvrira l'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique. Une partie de la capacité sera dédiée au soutien de l’Otan, le reste étant mis à la disposition de clients gouvernementaux et institutionnels choisis, en mettant à l’écart les non-compliant au droit international ou les organisations suspectes.
Dans la catégorie des joint-ventures, le Luxembourg avait déjà enregistré le programme EarthLabLuxembourg, qui unit dans un projet entrepreneurial d’envergure Post Luxembourg et Hitec aux acteurs franco-italiens Telespazio et e-Geos, pour créer le premier centre européen dédié au monitoring des risques environnementaux et industriels, sur base d’observations satellitaires et autres captages terrestres.
Question d’opportunités
On ne peut évidemment pas vraiment dissocier les efforts luxembourgeois de ceux de l’Agence spatiale européenne. Cependant, le Luxembourg n’ayant pas d’agence spatiale nationale à proprement parler, c’est Luxinnovation qui est le point d’ancrage. L’agence pour l’innovation est aussi le moteur du Space Cluster.
Certains membres du cluster, plutôt orientés vers des partenaires non européens mais sans exclusive aucune, se plaignent parfois des lenteurs, voire d’une dose de mauvaise volonté de la part de l’Esa lorsqu’il s’agit d’aider au financement de projets… qui feraient potentiellement de l’ombre à quelques gros porteurs du Vieux Continent. Le lobbying fait évidemment aussi partie de la galaxie du space business.
Jusqu’ici, le Luxembourg louvoie dans ce contexte parfois délicat, aussi sûrement qu’un Falcon héroïque dans une salve de tirs ennemis.
Le Luxembourg européen joue bien le jeu des programmes étoilés, Ariane ou Vega entre autres. Les activités spatiales exigent un accès indépendant à l’espace, c’est pourquoi maintenir un lanceur européen de prochaine génération est d’une importance capitale, selon l'Esa. Qui rappelle par exemple qu’Ariane 5 a conquis la majorité du marché commercial des services de lancement, puis produit plus de 50 milliards d’euros de bénéfices économiques directs pour l’Europe.
Mais le marché mondial des services évolue rapidement, à la fois pour ce qui est de l’offre et de la demande. «It’s all about creating new opportunity», résumait en un slogan l’objectif principal de la mission économique menée, au printemps dernier (début avril), par le Space Cluster et le MRT, en compagnie de la Chambre de commerce, dans le sud-ouest des États-Unis. Les acteurs ont ainsi pu se rendre au cœur des centres névralgiques de l’aéronautique et du spatial en Californie ou en Arizona. L’opération permettait d’augmenter la visibilité sur la scène internationale et de favoriser la coopération. «Ceci est encore plus vital pour le secteur spatial, soulignait le cluster. Par sa haute technicité, il requiert des acteurs qu’ils soient connus et leurs compétences reconnues. Ce n’est pas un problème majeur pour les grandes entreprises, mais c’en est un pour les PME, rarement organisées pour un marketing agressif de leurs produits et de leurs compétences.» Ainsi, une poignée d’acteurs présents et actifs au Luxembourg sont allés se frotter, dans la Silicon Valley, à Los Angeles et à Phoenix, au prix d’un petit marathon de visites de sites et de contacts directs, à la grande mutation qui anime le secteur global made in America. En marge d’une vision déjà ancienne où l’excellence technique se paie au prix fort de programmes gouvernementaux, il y a désormais une prolifération d’infrastructures et d’initiatives, rendue possible par une approche d’optimisation des processus et des coûts. Ainsi, en avril dernier, les Luxembourgeois avaient croisé des grands donneurs d’ordre tels que Boeing, Lockheed Martin Space Systems ou Aerojet Rocketdyne, des grands de la recherche (Nasa, Université d’Arizona), mais également les météorites de la nouvelle ère, tels que SpaceX, Deep Space Industries, Planetary Resources, Boreal Space ou Interorbital Systems. Très vite, on a vu ces acteurs s’intéresser au Luxembourg au point de s’y implanter et des horizons différents s’ouvrir pour des acteurs européens en quête de partenariats transatlantiques.
Une concentration importante et dynamique Étienne Schneider est vice-Premier ministre et ministre de l’Économie, ardent défenseur du domaine aérospatial. «Il y a trois décennies, l’industrie spatiale n’existait pas encore au Luxembourg. Aujourd'hui, emmenée par l’opérateur historique qui a tout déclenché, le groupe de satellites SES, cette industrie est fermement établie comme l'un des piliers de notre économie. Le Grand-Duché est devenu une concentration importante d'entreprises dynamiques du secteur spatial, tandis que sur le plan académique, plusieurs organismes de recherche publics sont également impliqués dans la recherche spatiale. Avec les opportunités créées par le soutien du gouvernement engagé depuis 10 ans en tant que membre de l’Agence spatiale européenne – que le Luxembourg copréside avec la Suisse, État fondateur de l’ESA, depuis 2012 et jusqu’à la fin de cette année –, ces entreprises et organisations poursuivent un objectif commun: apporter des solutions et des technologies innovantes pour le secteur spatial.» Record du monde au LuxembourgGrégory Emsellem, CEO francais d’Elwing Corporation (propulseurs électriques), a sur sa carte de visite Princeton et Bonnevoie. «Elwing a rencontré le Luxembourg via SES, puis on a discuté avec les représentants de l’État, le cluster, les instituts de recherche. Nous sommes sur le modèle start-up mais on a des partenariats avec l’Université de Princeton, on teste avec la Nasa… Il y a ici au Luxembourg une concentration d’acteurs et d’intérêts tout à fait unique, un pragmatisme réel, qui crée tout un environnement, pour la R&D, les finances, la production, l’industrialisation, les services. Le PIB lié au spatial est de l’ordre de 4% ici. C’est sûrement un record du monde! Or, les perspectives macroéconomiques sont en train d’exploser, notamment avec de nouveaux acteurs, de nouveaux services, des technologies qui passent à l’industrialisation des processus. Tout converge vers ce qui se fait ici…» L’occupation des sols vue d’en haut Stefan Kleeschulte est le managing director de la société luxembourgeoise Space4Environment, sortie du groupe autrichien Geoville. Geoville avait installé une société au Luxembourg il y a huit ans pour réaliser des statistiques de l’occupation des sols, sur base de photos aériennes et vues satellites, pour le Ceps (Liser) et le ministère de l’Environnement. Preuve que l’innovation marche avec le business, le 22 juillet dernier, une séparation de corps a eu lieu, faisant naître Space4Environment (Niederanven). Geoville Environmental Services Luxembourg et Geoville Information Systems, Autriche, ont décidé de se scinder en deux entités indépendantes. La société basée à Luxembourg a été entièrement prise en charge par son actionnaire et directeur général, Stefan Kleeschulte,à l’issue d’un MBO (management buy-out) amical. «La séparation était devenue nécessaire, vu les intérêts d'affaires contradictoires bloquant mutuellement les entités dans leur développement», annonçait le communiqué en juillet. |
Alain Ducat