Waagner-Biro révolutionne les théâtres du monde entier

De Sydney à Singapour, la luxembourgeoise Waagner-Biro équipe les théâtres et opéras du monde entier. Le List va lui permettre de révolutionner la mise en scène, avec des wagons flexibles et connectés pour faire évoluer les décors en temps réel. Une passionnante success-story.

Source : paperjam.lu
Publication date : 09/05/2023

 

On n’imagine pas, en apercevant le discret bâtiment rouge à l’angle de la rue de l’École à Rodange, que s’y cache une entreprise équipant les scènes du monde entier, de l’Opéra de Sydney à l’Esplanade Theatre dans la baie de Singapour. Tout comme on n’imagine pas les outils utilisés, en coulisses, pour que les décors prennent vie…

En poussant la porte de l’atelier de Waagner-Biro, les écrans de contrôle dispersés entre les outils et les diverses affiches de spectacle accrochées au mur donnent un indice sur l’activité de l’entreprise au Luxembourg. Son CEO, Jean-Marie Schiltz, s’approche d’un des appareils, dit «CAT V5». Sur l’écran du haut, plusieurs items. Il en sélectionne sept et utilise le joystick (manette de commande) pour les déplacer, sur celui du bas. «Ici, nous utilisons la version atelier, mais dans un théâtre, ce pourraient être les rideaux qui s’ouvrent», illustre un employé.

Cela fait plus de 30 ans que l’entreprise luxembourgeoise développe des systèmes de commande assistée par ordinateur pour les salles de spectacle, leur permettant de déplacer différents décors sur scène. Aujourd’hui, elle s’allie au Luxembourg Institute of Science and Technology (List) pour développer un nouvel outil.

Une innovation «disruptive» et sa liste de défis

«Les décors bougent grâce à différents rails au sol. Ils peuvent se déplacer de gauche à droite ou en profondeur. Ce n’est pas très flexible», résume le responsable des partenariats industriels du département digitalisation du List, Jean-Pol Michel. «L’idée de M. Schiltz, c’est de créer des wagons autonomes, sur lesquels on met les décors, et qu’on peut déplacer de manière flexible sur scène. On pourrait imaginer une scène où Alibaba claque des doigts et qu’une chaise arrive au milieu de la pièce, par exemple. C’est ce qu’on peut appeler une innovation disruptive dans le métier de l’animation de scène.»

On peut se demander pourquoi ne pas avoir mis en place ce système de wagons plus tôt. «Nous avons des problèmes avec la fiabilité du réseau», explique Jean-Marie Schiltz. Son partenaire de projet liste alors les «défis» que son équipe d’ingénieurs tente de relever: «Il faudra une connectivité très évoluée, pour pouvoir toujours être en contact avec de très nombreux wagons. Dans un environnement où il peut faire noir, y avoir de la fumée, de l’eau… Le deuxième, c’est la localisation. Le système doit toujours savoir où se trouvent exactement les wagons», parfois au millimètre près. «Il y a aussi la robustesse. Pour l’assurer, nous faisons de la maintenance prédictive. On collecte des données sur les comportements des wagons et si on voit qu’à un moment, il ne réagit plus à la milliseconde, il y a un problème et il faut le remplacer. Nous allons utiliser l’intelligence artificielle et l’analyse de données. Pour concevoir les scènes avant, nous allons également nous servir de la réalité augmentée.»

Pour passer de l’idée à sa réalisation, le CEO de Waagner-Biro a sollicité l’aide de Luxinnovation, qui l’a mis en contact avec le List. D’une première visioconférence au milieu des vacances de février 2022, les partenaires ont commencé à travailler sur la définition du projet, jusqu’à le déposer officiellement pour une demande de financement au ministère de l’Économie en décembre dernier.

6,8 millions d’euros de budget

Celle-ci vient d’être acceptée et le gouvernement participera à hauteur de 57% au budget, fixé à 6,8 millions d’euros pour une durée de quatre ans (à partir de janvier 2023). 15% de la prise en charge sert à récompenser l’alliance entre le secteur privé et la recherche publique et donc, indirectement, à payer le List. Waagner-Biro utilise ses propres réserves pour financer le reste. «Avec les banques, cela ne marche pas du tout. Elles sont très hésitantes pour ce genre de projets», regrette son CEO. Le List ajoute une participation de sa poche pour la recherche, qui pourrait servir à d’autres projets, à terme, selon la décision que prendra Waagner-Biro sur la propriété intellectuelle une fois les wagons créés. «Ce sont des véhicules autonomes. On pourrait imaginer cela, par exemple, dans la logistique», détaille Jean-Pol Michel.

Dans son business plan, Jean-Marie Schiltz prévoit d’amortir son investissement d’ici dix ans.

Lorsqu’il a co-fondé l’entreprise en 1987 avec Roland Jacoby, celle-ci s’appelait Guddland Digital et se concentrait sur le secteur industriel. Après s’être redirigée vers la culture en 1989, elle a vendu 51% de ses parts au groupe autrichien Waagner-Biro en 2002 – prenant ainsi son nom actuel.

Un contrat à trois millions d’euros à Hong Kong

Elle a réalisé un chiffre d’affaires de 9,9 millions d’euros en 2022, avec ses 53 salariés. «La moitié vient de l’Asie», estime son CEO. L’activité luxembourgeoise représente ainsi près d’un quart des 40 à 50 millions d’euros de chiffre d’affaires du groupe Waagner-Biro, qui compte des bureaux en Allemagne, en Angleterre et en Chine, et emploie 180 personnes.

À Vienne, où se trouve le siège, «ils font les machines, la mécanique», résume Jean-Marie Schiltz. «Ici, nous faisons fonctionner la machine, le développement informatique, le contrôle».

L’entreprise a recruté six personnes pour développer son nouveau projet avec le List – auquel participent quasiment tous les ingénieurs. Du côté de l’institut technologique, ce sont «cinq équipes de recherche» et «dix personnes» qui se concentrent sur le développement des wagons de Waagner-Biro Luxembourg, ajoute Jean-Pol Michel. Les équipes se rencontrent «tous les premiers mardi ou mercredi du mois».

En attendant, l’entreprise ne cesse de grandir. «Nous venons de signer le plus gros contrat de notre histoire pour un théâtre à Hong Kong, trois millions d’euros», se félicite le CEO qui compte «plus de 250 théâtres» équipés de ses systèmes dans 40 pays. Et pour soutenir sa croissance, Waagner-Biro cherchera, dès l’année prochaine, de nouveaux bureaux pour ses équipes.

Mathilde Obert

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