Catalyseur d’innovation

Le «European Space Resources Innovation Centre» (ESRIC) prend officiellement son envol

Source : Lëtzebuerger Journal
Date de publication : 19/11/2020

 

Encore une décennie et l’humanité pourrait avoir une base permanente sur la Lune. Les matières premières sont là pour le permettre: le régolithe, cette poussière qui recouvre la surface lunaire est exploitable, de même que certaines roches. Et surtout, il y a de l’eau aussi sur l’Astre de la Nuit. Selon des analyses récentes de la NASA, l’agence spatiale américaine, elle serait même plus abondante que l’on ne pensait, piègée sous forme de glace dans une multitude de cratères. Ce qu’on trouve aussi sur la Lune, ce sont les restes des missions spatiales qui l’avaient pour cible. Autant de matériaux que l’on pourrait recycler pour construire une première base lunaire.

Mais comment atteindre cet objectif? C’est dans un climat d’excitation générale qu’a eu lieu hier l’envol officiel d’une institution qui pourrait fournir une réponse globale à cette question aux très multiples facettes. L’«European Space Resources Innovation Centre» a ainsi été créé en août dernier par l’Agence spatiale luxembourgeoise (LSA) et le «Luxembourg Institute of Science and Technology» (LIST) comme département de ce dernier.

«L’aventure commence maintenant»

Suite à un accord de coopération signé entre le gouvernement luxembourgeois et l’Agence Spatiale Européenne (ESA), cette dernière rejoindra en fin d’année l’ESRIC qui s’inscrit dans le cadre de l’initiative SpaceResources.lu et dont l’ambition est de devenir un centre d’expertise de renommée internationale pour les aspects scientifiques, techniques, commerciaux et économiques liés à l’utilisation des ressources spatiales pour l’exploration humaine et robotique. «L’aventure commence maintenant», s’est réjoui le Ministre de l’Economie Franz Fayot (LSAP), saluant l’ESRIC comme «un catalysateur pour l’innovation dans le domaine des ressources spatiales». L’objectif serait de construire un «écosystème» dans ce secteur en partenariat avec de nombreux partenaires publics et privés.

Et Franz Fayot de souligner sous l’oeil de plus de 400 spectateurs de par le monde qui ont assisté au Livestream sur Youtube l’engagement résolu du Luxembourg dans le domaine des «space resources» depuis 2016 et de rappeler que le Grand-Duché a rejoint il y a peu le programme Artemis de la NASA, qui prévoit la prochaine mission habitée sur la Lune d’ici 2024 – avec l’envoi de la première femme sur l’Astre de la nuit.

Le ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Claude Meisch, a de son côté félicité tous les partenaires et le LIST en particulier, pour lequel l’ESRIC serait un achèvement majeur. Mais le fait qu’un tel centre d’innovation puisse être ancré au Grand-Duché serait aussi une reconnaissance pour la politique nationale de promotion de la recherche. Et d’ailleurs l’ESRIC serait aussi un acteur de taille pour l’implémentation des stratégies de recherche nationales.

«Une fantastique opportunité au bon moment»

«L’avenir est plus proche qu’il ne semble», a expliqué Jan Wörner, le directeur général de l’ESA, saluant que le Luxembourg «est connu pour toujours emprunter de nouvelles approches». «We want to power ESRIC», a-t-il promis. Bernard Hufenbach, «Head of Strategic Planning» de l’Agence Spatiale Européenne, s’est félicité des «pas significatifs et visionnaires» entamés ces deux dernières années pour donner de l’élan à l’exploitation des ressources de l’espace. Le Luxembourg fait d’ailleurs partie depuis 2019 de l’«European Space Exploration Envelope Programme» qui doit conforter le rôle pivotal de l’Europe dans l’exploration spatiale en soutenant tant la recherche fondamentale que la participation à des missions spatiales d’autres nations. Parmi les questions prioritaires qui se posent actuellement figurent selon lui la réduction des coûts de transport vers l’espace, mais l’optimisation des processus pour l’extraction d’oxygène dans des environnements comme la Lune par exemple.

Thomas Kallstenius, le directeur du LIST, a de son côté pointé la recherche sur les matériaux au sein de son institut, mais aussi sur la purification d’eau. «C’est une fantastique opportunité pour nous au bon moment», a-t-il dit à propos de l’ESRIC, vantant au passage les «chemins de décision courts» au Grand-Duché qui permettraient d’avancer vite.

«Le secteur a surtout aussi besoin d’entrepreneurs», a pointé de son côté Hansjörg Dittus, membre du comité de direction du «Deutsches Zentrum für Luft- und Raumfahrt» (DLR), le centre aérospatial allemand. D’ailleurs, un incubateur pour des startups dans le domaine doit voir le jour au sein de l’ESRIC l’année prochaine.

«L’ESRIC est une pièce très importante dans la construction de l’écosystème «space resources»», a souligné Marc Serres, le directeur de la jeune Agence Spatiale luxembourgeoise. L’engagement dans cette voie d’avenir dès 2016 porterait vraiment ses fruits.     

Pilote par intérim : Mathias Link accompagne l’éclosion de l’ESRIC

Mathias Link, directeur des Affaires internationales et des Ressources spatiales à l’Agence Spatiale Luxembourgeoise, dirigera le développement et les premières activités de l’ESRIC avec ses principaux partenaires. Cela inclut le soutien au recrutement d’un futur directeur.

L’expert dans le domaine des ressources spatiales a occupé des fonctions similaires dans les domaines des affaires internationales, des question juridiques et réglementaires, de la recherche et des finances au sein du ministère de l’Économie et de Luxinnovation avant de rejoindre la LSA. Et depuis plus de dix ans, Mathias Link représente le Luxembourg dans les comités liés à l’espace de l’Union européenne et de l’ESA, ainsi qu’au Comité des Nations Unies sur les utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique. Il a également été membre du groupe de travail de La Haye sur la gouvernance des ressources spatiales internationales. Avant de rejoindre le secteur public, Mathias Link a occupé des postes dans la société de conseil en gestion Booz Allen Hamilton, chez Siemens Corporate Technology à Munich et dans les laboratoires de recherche Philips à Eindhoven. Mathias Link est titulaire d’un doctorat en physique appliquée de l’Université de Lorraine en France, et d’un master en ingénierie microtechnique de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, en Suisse.

«De grosses opportunités à saisir»

Avec le lancement officiel mercredi de l’ESRIC sous la houlette de la Luxembourg Space Agency (LSA), le directeur de la LSA Marc Serres fait le point sur un secteur qui a tout pour devenir grand dans un avenir proche, avec des entreprises luxembourgeoises présentes sur la Lune. Tour d’horizon de cette conquête spatiale d’un nouveau genre.

Deux ans après son lancement, la Luxembourg Space Agency est-elle toujours un facilitateur d’entreprises?

Oui, nous sommes toujours dans l’esprit du départ, à savoir diversifier l’économie luxembourgeoise en facilitant le développement des entreprises. Le spatial était traditionnellement tiré par les institutions publiques, mais cela a fortement évolué. Aujourd’hui le secteur est présent dans la vie quotidienne, ne serait-ce qu’avec la diffusion de la télévision. Le spatial est aussi présent dans des domaines aussi divers que la météorologie, mais aussi avec la science ou encore les transports comme avec GPS et Galileo dont nous ne pouvons nous passer sur nos téléphones. Cela entraîne des opportunités commerciales dans le domaine des infrastructures, des données satellitaires. L’Union Européenne investit dans ce domaine, et la diffusion des données ne sert pas que pour le spatial, mais aussi pour l’agriculture par exemple. C’est un secteur qui s’est vulgarisé, et même s’il n’existe pas encore de marché à proprement parler, il y a de grosses opportunités à saisir.

Quel est l’impact de la crise du Covid-19 sur les entreprises du secteur spatial?

Nous observons des reports de contrats, des clients eux-mêmes touchés reportent alors que les discussions étaient avancées. Le volet applicatif est peut-être moins touché, mais pour tout ce qui est hardware, les sous-traitants accusent des retards de livraison, d’autant qu’elles sont plus touchées par les mesures de confinement et le télétravail.

Quelle est la relation entre la LSA et l’ESA?

Nous avons une participation luxembourgeoise dans les programmes optionnels de l’agence européenne, mais également un accord de coopération au programme national pour les entreprises luxembourgeoises. Nous avons lancé avec l’ESA un satellite Luxspace «E Sale» où le Luxembourg était le contributeur principal, ainsi que 15 Etats-membres. Nous sommes très satisfaits de notre collaboration avec l’ESA, le nombre de projets augmente et nous avons atteint un rythme de croisière avec une phase de croissance des activités. En 2020 nous enregistrons plus de 12 projets, ce nombre augmente mais c’est surtout la taille des projets qui fait toute la différence.

Que représente le secteur spatial dans l’économie luxembourgeoise?

Nous sommes actuellement entre 1,5 et 1,8% du PIB, en espérant que cette proportion augmente à l’avenir, mais il faut compter sur le délai entre la stimulation de projets et les résultats. D’ici trois à quatre ans, nous devrons voir porter les fruits de nos investissements. Nous avons entre 5 et 7 nouvelles entreprises crées ou établies au Luxembourg chaque année, elles étaient 53 recensées en juin dernier et 7 laboratoires impliqués. En 2018, le secteur spatial représentait 840 emplois environ, dont 400 chez SES. L’objectif est d’avoir à terme l’équivalent d’un ou deux SES.

Avec l’inauguration de l’ESRIC, l’écosystème spatial luxembourgeois est-il au complet?

Nous avons un projet-phare qui se clôture pour la mise en place, c’est désormais la phase opérationnelle qui commence. Il faut laisser la chance d’obtenir une vitesse de croisière. Du côté du volet règlementaire il y a beaucoup d’efforts à faire au niveau international, c’est un travail de longue haleine. Nous voulons avoir des projets que l’on peut montrer, avec des acteurs privés qui développent leur activité. Mais ce n’est pas fini, deux nouvelles initiatives devraient être dévoilées en début 2021.

Concrètement, quel rôle le Luxembourg peut jouer sur la scène internationale?

Nous avons signé les accords ARTEMIS avec les Etats-Unis, nous allons concrétiser notre participation au programme. C’est une initiative de la NASA qui ne veut pas être seule: c’est important pour le Luxembourg de participer à cet effort international, c’est un tremplin fantastique pour les entreprises luxembourgeoises de faire quelque chose de concret. A l’horizon 2030, il est question d’une présence humaine permanente sur la surface de la Lune. Nous avons encore dix ans pour faire une contribution majeure à ce projet. Mais nous dépendons de la volonté des entreprises. Le Luxembourg peut se distinguer autour des ressources spatiales, de la prospection, de la robotique, ainsi que de la fourniture d’énergie ou encore la navigation. La Lune est un espace de conquête, il faut réaliser que nous n’avons pas de carte détaillée de la surface, la navigation sera donc clé pour s’y installer durablement.

Quelle sera la relation entre la LSA et l’ESRIC?

C’est une initiative de la LSA, mais également un groupe de travail de l’ESA. Ils avaient organisé des séminaires scientifiques, avec beaucoup de chercheurs mais ces derniers étaient dispersés. Ce sera un pôle de recherche, d’abord pensé au sein du LSA, mais en coopération avec le LIST et l’ESA pour donner une dimension européenne. Cela sera plus large qu’un centre de recherche. Il s’agira de valoriser les innovations de la recherche luxembourgeoise et européenne plus largement.

AUDREY SOMNARD

Claude Karger

 

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