Compositeurs d'avenir

Le secteur des matériaux composites innove et s'adapte. Cette industrie veut aller de plus en plus de l'avant en matière de digitalisation, de production automatisée ou de solutions biosourcées. Des tendances auxquelles le pays travaille.

Source : Le Jeudi
Date de publication : 14/03/2019

 

Le secteur des matériaux composites, s'il n'attire pas les regards aussi spontanément que celui des activités financières ou, désormais, des activités spatiales, n'en est pas moins stratégique pour le pays. 

Et tout cela se mobilise sous la haute bienveillance du ministère de l'Economie et de son bras armé, Luxinnovation. Pour un scientifique, un matériau composite est un assemblage d'au moins deux composants ne se mélangeant pas et dont les propriétés se complètent.

Au final, le matériau composite possède des qualités que ses composants initiaux ne possèdent pas. Des qualités déterminées pour des utilisations très spécifiques. Et c'est cette adaptabilité qui explique leur succès dans l'industrie.

Dans les industries faudrait-il même dire, car chaque activité ases besoins spécifiques, comme l'explique Henri Perrin, Head of Composite Processing au sein du National Composite Centre-Luxembourg (NCCL). «Dans l'aéronautique, c'est l'allègement des structures et la hausse de la résistance qui sont recherchés. Dans le domaine spatial, l'allègement est également clé. Mais on y rattache également l'obsolescence. L'espace a besoin de solutions dont la durée de vie puisse atteindre quarante ans. Les programmes spatiaux sont très longs. Et ils ont des coûts de développement très élevés». 

Et ces variations peuvent se décliner à l'infini autour de valeurs clés comme la légèreté, la résistance, la liberté des formes, une maintenance réduite, un faible vieillissement, une grande résistance aux produits chimiques et leur bonne isolation électrique. Seule limite à leur utilisation: leur coût. 

Concevoir puis produire des matériaux composites coûte cher. D'où la tendance de fond de cette industrie consistant à aller de l'avant en matière de digitalisation des process et de production automatisée. «Une grande tendance sur laquelle travaille le pays». Tout comme sur l'apparition de solutions bio – basées sur des polymères issus de ressources renouvelables – capables notamment de retarder l'obsolescence des matériaux. Ainsi, le Luxembourg Institute of Science and Technology (List) oeuvre actuellement à la production de résines à partir de noix de cajou. 

Pour un économiste, le secteur des matériaux composites au Grand-Duché, c'est plus de 400 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel, 1.600 emplois pour une contribution de 5,2% au PIB (produit intérieur brut).

«Une croissance annuelle moyenne entre 2009 et 2015 de 6,2%», précise Caroline Muller, manager du cluster «Materials & Manufacturing». Une croissance portée par des tendances lourdes que constituent la digitalisation et le passage vers l'industrie 4.0. Bref, la troisième révolution industrielle chère à Jeremy Rifkin et Etienne Schneider. Des chiffres à rapprocher de ceux du secteur «manufacturing» qui regroupe plus de 800 entreprises employant plus de 35.000 personnes.

Au-delà des chiffres, les matériaux composites, c'est aussi une dynamique qui implique toute une communauté structurée autour de trois intervenants centraux.

Le Luxembourg Material & Manufacturing Cluster (fort actuellement de 86 membres et géré par Luxinnovation) a pour mission de favoriser l'innovation au sein des entreprises et leur coopération intersectorielle, en particulier dans les domaines des matériaux composites, des matériaux biosourcés, des nanomatériaux et de l'industrie 4.0, qui inclut notamment la fabrication additive et l'automatisation/robotique.

S'est créé en son sein, l'an passé, un autre cluster (IAG pour Industrial Advisory Group), qui réunit une quinzaine de membres répartis dans deux groupes de travail, chargé de trouver les outils et moyens de favoriser la coopération inter-entreprises.

De son activité va naître une plateforme sécurisée partagée destinée à faciliter les interactions et les échanges directs entre les membres du cluster. 

2018 a également vu la création du Composite Industry Luxembourg (CIL), une asbl à laquelle Luxinnovation offre un support administratif, et dont l'objet est de favoriser les synergies et les travaux collaboratifs entre entreprises et les centres de recherche publics ou privés. Le tout dans le giron du National Composite Center Luxembourg (NCCL), le centre de compétences en matériaux géré par le List. Son but est de faciliter les collaborations multipartites. Neuf entreprises y participent (Airtech, DuPont, e-Xstream engineering, Glanzstoff, Goodyear, GCL Holdings, MPG, Ocsial et Reichert Technology partners).

Les entreprises se sont associées dans cette plateforme collective qui représente, pour la deuxième année consécutive, le Luxembourg au salon JEC World 2019 – à Paris- Nord Villepinte du 12 au 14 mars. Avec plus de 1.300 exposants venant d'une centaine de pays, et quelque 50.000 visiteurs attendus, cet événement international est le plus important au monde dans le secteur des matériaux composites. 

L'occasion d'accroître la notoriété du pays hors de ses frontières. «Chaque année, on trouve à Paris de plus en plus d'exposants. Nous avons une présence significative par rapport à la taille du pays», indique Henri Perrin.

Sur le terrain, les acteurs sont principalement des filiales de grands groupes comme Airtech, Eurocomposites – le plus grand employeur du pays dans ce secteur avec plus de 1.000 employés – ou encore Dupont et Goodyear.

Mais on trouve également des PME et des startups à fort potentiel comme Molecular Plasma Group. Qui ont toutes à l'esprit l'exemple d'e-Xstream, startup qui a su devenir un expert mondialement reconnu dans le domaine du développement des logiciels pour la simulation des matériaux composites et la digitalisation des processus.

Et l'aventure spatiale luxembourgeoise attire encore de nouveaux acteurs, comme Kleos, spécialiste de la fabrication de matériaux composites dans l'espace. 

Autant de noms «porte-drapeaux», qui contribuent à l'attractivité du Grand-Duché pour les professionnels. La visibilité internationale bénéficie également de la bonne réputation de sa recherche.

Le List joue un rôle clé dans le développement de nouveaux matériaux pour viser de nouveaux marchés, rappelle Henri Perrin. «Nous participons à de nombreux programmes de recherche européens, notamment en matière de digitalisation ou de métallisation de structures composites offrant à l'industrie aéronautique de nouvelles solutions dans le cadre de sa feuille de route 2050.»

Henri Perrin insiste sur l'aspect «polyvalent» de la filière au Luxembourg où l'activité va de la production de matières premières à la digitalisation, en passant par la fabrication de consommables utilisés pour la fabrication de composites. «C'est la grande différence avec les régions voisines qui sont spécialisées dans un domaine». 

Pour autant, la chaîne de valeur n'est pas complète et le Luxembourg compte peu d'acteurs en comparaison avec les pays voisins comme l'Allemagne, tempère Caroline Muller.

Qui souligne l'importance pour le pays de participer à des salons comme le JEC World afin de se faire encore plus connaître, tisser des partenariats de recherche solides et attirer des entreprises complémentaires. Un vrai défi. Et demain? Pour Caroline Muller, la dynamique de croissance se poursuivra d'autant mieux que l'on continuera d'investir dans des produits d'avenir. Et plus précisément dans les matériaux intelligents et connectés. Bien loin des composites historiques que furent l'imperméable, le béton armé ou le bois aggloméré.

Marc Fassone

 

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