Conditions météorologiques extrêmes et changement climatique, une corrélation évidente ?

Entre les inondations qui ont frappé le Müllerthal l’an passé, les vagues de chaleur qui ont asséché l’Europe cet été et la tornade qui a ravagé Pétange et Bascharage en août dernier, les conditions météorologiques semblent prendre régulièrement des tournures extrêmes. Aaron Firoz, coordinateur de l’Observatoire du Climat et de l’Environnement du LIST, nous aide à comprendre une situation que d’aucuns considèrent comme sans précédent.

Source : Smart Cities Luxembourg Octobre 2019
Date de publication : 28/10/2019

 

Selon vous, le phénomène qui a touché Pétange et Bascharage le 9 août dernier peut-il être attribué au changement climatique ?

Le récent incident de la tornade a soulevé la question du rôle éventuel du changement climatique dans ce phénomène d’une intensité inhabituelle au Luxembourg (niveau 2 sur l’échelle de Fujita). Même aux États-Unis, où les tornades sont bien plus fréquentes, la communauté scientifique est partagée sur la question. Les chercheurs doutent quant à l’existence d’un lien entre le changement climatique et l’activité des tornades, notamment parce que celles-ci résultent de la combinaison de plusieurs facteurs. La science est en fait si incertaine qu’ils ne peuvent toutefois pas exclure l’hypothèse d’un tel lien à ce stade.

Les modèles climatiques sont incapables de démontrer une tendance pour deux raisons principales.

La première, c’est que leur échelle est trop imprécise pour détecter les phénomènes locaux. Le microclimat a en effet une importance cruciale dans la formation d’une tornade. L’autre raison, c’est que les modèles climatiques traitent habituellement une dimension verticale de six kilomètres, tandis que les tornades se forment généralement à moins d’un kilomètre. La distribution verticale des données pose donc question.

D’un autre côté, des études récentes suggèrent une nette tendance à la hausse de l’occurrence de tornades sur une seule journée, tandis que le nombre de jours où n’est recensée qu’une seule tornade diminue. Le phénomène est donc plus fréquent mais plus limité dans le temps, ce qui pourrait typiquement être une conséquence du changement climatique.

Pour conclure, je dirais que de nombreux phénomènes météorologiques imprévisibles peuvent être liés au réchauffement planétaire et que celui-ci peut, de manière passive, contribuer à l’apparition de conditions favorables à la formation de tornades. Lorsque les données verticales et spatiales du modèle climatique atteindront une résolution plus fine, il sera probablement possible de lier cet événement particulier à des données à plus long terme.

Aux Etats-Unis, des chasseurs d’orage et de tornade professionnels collaborent avec les services météo nationaux. Est-ce selon vous une expertise que l’on gagnerait à développer en Europe ?

Les tornades ne sont pas aussi fréquentes en Europe qu’aux Etats-Unis. En comparaison, on ne recense en moyenne que 250 à 300 évènements par an sur le Vieux Continent, contre 1 200 à 1 300 sur le Nouveau Monde. Malgré tout, nous pouvons compter sur l’European Severe Storms Laboratory (ESSL) qui traite et alimente l’European Severe Weather Database, une base de données qui répertorie tous les évènements météorologiques extrêmes, y compris les tornades. Ce dont nous manquons aujourd’hui, ce sont de données météorologiques locales. Nous devrions installer davantage de stations météorologiques qui nous permettraient de valider les données radar et, dès lors, de fournir en temps voulu des prévisions et des avertissements en cas de formation d’une tornade.

Si cette tornade était particulièrement impressionnante, les phénomènes climatiques marquants (vagues de chaleur, fortes pluies, orages violents, tempêtes…) semblent de plus en plus fréquents. Les conditions météorologiques s’annoncent- elles globalement de plus en plus violentes ?

En effet, les phénomènes météorologiques deviennent de plus en plus extrêmes en raison du réchauffement planétaire et peuvent, quant à eux, être expliqués par le modèle climatique. Le principal moteur des changements météorologiques en Europe est le courant- jet, un courant aérien qui tourne d’ouest en est entre l’Arctique et les latitudes tempérées et qui maintient une séparation entre les zones climatiques. Or, le réchauffement rapide du pôle Nord atténue la séparation entre ces deux zones. Le courant-jet s’en trouve affaibli et forme alors des méandres, des vagues qui amènent de l’air chaud d’Afrique au Nord ou de l’air froid du pôle au Sud, qui stagnent dans l’atmosphère et fixent la météo sur certaines régions. C’est ce dérèglement du courant-jet qui cause les sécheresses, les chaleurs extrêmes et les inondations qui ont fait les gros titres cet été – un phénomène sans précédent à l’échelle de l’hémisphère nord et marqué de l’empreinte nette du réchauffement climatique. En outre, la majeure partie de la chaleur emmagasinée par la planète se répand dans les océans. Or, nous savons que l’élévation de la température de l’eau alimente les ouragans et les typhons en énergie.

Tous les phénomènes météorologiques extrêmes ne sont toutefois pas liés au dérèglement climatique, la variabilité naturelle existe encore et toujours. Statistiquement, les scientifiques estiment que 95% des vagues de chaleur sont rendues plus probables ou aggravées par le changement climatique. En ce qui concerne les sécheresses, 65% d’entre elles sont définitivement affectées par ce réchauffement. C’est le cas également de 57% des inondations. Il est aujourd’hui indéniable que la hausse des températures provoque des conditions météorologiques plus extrêmes.

Selon vous, est-il encore possible de limiter la hausse des températures à 1,5°C d’ici 2050, comme le recommande l’Accord de Paris ?

C’est une question très délicate qui relève davantage de la volonté politique. La hausse des températures se calcule en référence à la période préindustrielle. Entre 1900 et 1980, un total de 1 000 milliards de tonnes de CO2 a été émis dans l’atmosphère, portant le réchauffement climatique à 0,5°C. En 2017, nous en comptions 2.000 milliards. Il a donc suffi de 37 ans pour doubler la quantité de CO2 présente dans l’atmosphère et aboutir à un réchauffement d’1°C. Si le rythme d’émission actuel se maintient, nous atteindrons le degré et demi d’ici 2030 ou moins. En termes simples, pour limiter la hausse des température à 1,5°C, nous devrons réduire drastiquement nos émissions de CO2 : des 40 milliards de tonnes annuelles produites actuellement, nous devrons passer à zéro d’ici 2050. Est-ce possible ? Et si oui, comment ?

Diverses combinaisons de mesures de réduction des émissions de CO2 peuvent permettre de contenir le réchauffement climatique à 1,5°C (avec un dépassement nul ou limité). Chacune d’elles comporte ses défis de mise en oeuvre et nécessite la mise en place de synergies et/ou de compromis potentiels avec les objectifs de développement durable. Pour les pays développés, le principal instrument de réduction du CO2 est la taxe carbone. Dans les pays en développement, il s’agit davantage d’améliorer la gestion des terres, la reforestation et le recours aux énergies renouvelables. De nombreux États commencent à prendre des mesures concrètes. Je pense que l’engagement des jeunes générations prouve qu’il y a de l’espoir, mais il faut agir maintenant. Le temps où nous pensions que nous ne connaîtrions pas les effets du changement climatique est révolu. Nous en faisons l’expérience aujourd’hui, et plus intensément que prévu. L’objectif 2050 est ambitieux mais réalisable si nous y travaillons honnêtement.

Architectes et urbanistes doivent-ils revoir leurs façons de concevoir la ville pour prendre en compte ce type de conditions climatiques extrêmes ?

Il existe des alternatives permettant de minimiser les dégâts engendrés par les phénomènes météorologiques extrêmes (l’enterrement des câbles électriques, par exemple). Mais je pense que les architectes et urbanistes sont avant tout des acteurs clés dans la lutte contre le changement climatique. Selon les statistiques, d’ici 2050, plus de 60% de la population mondiale vivra dans un environnement urbain. Or, les villes elles-mêmes génèrent énormément de pollution par le biais de la construction, du chauffage et du refroidissement des bâtiments, de l’électrification ou encore de l’industrie. De multiples considérations urbanistiques peuvent permettre de déterminer le niveau et l’intensité de ces émissions, notamment la manière dont nous organisons effectivement nos villes, la densité de population et la façon dont nous nous déplaçons en leur sein. De plus, la manière dont nous gérons les déchets, tant liquides que solides, peut contribuer à nos émissions de gaz à effet de serre ou les atténuer. À cet égard, la planification urbaine joue un rôle de plus en plus important dans la gestion du changement climatique. Les villes bien planifiées sont plus à même de s’adapter à ses impacts négatifs que les villes non planifiées ou mal gérées.

A. Jacob

 

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