La déconstruction: un vivier de ressources

Le démantèlement d’un bâtiment est souvent associé à la production de déchets et Schroeder & Associés entend bien changer cette vision. Avec la création d’un outil systématisant l’audit préalable à la déconstruction en collaboration avec le LIST, le bureau d’étude prouve qu’un édifice en fin de vie peut encore receler des ressources insoupçonnées. Interview de Martine Schummer, administrateur, ingénieur et chef du service «Bâtiments», et Guillaume Dubois, ingénieur et chef d’unité dans le service «Ouvrages d’art».

Source : gemengen.lu
Date de publication : 27/12/2018

 

Que prévoit le cadre légal luxembourgeois quant à la gestion des déchets dans le secteur de la construction?

GD: La loi luxembourgeoise relative à la gestion des déchets de 2012 impose un tri, en commençant par la séparation des éléments. Cette législation oblige d’abord à leur trouver une réutilisation ou une revalorisation; si rien n’a pu en être tiré, alors les déchets doivent être évacués.

Comment optimiser la gestion des déchets lors d’une déconstruction?

MS: Pour gérer les déchets de manière optimale, la meilleure solution est de créer des bâtiments modulaires, adaptables en fonction du changement des besoins. Il est possible d’en augmenter la flexibilité en réduisant le nombre d’éléments porteurs verticaux, ou d’augmenter les hauteurs libres des étages pour permettre des changements d’affectation,… Cette démarche engendre en général des coûts de construction plus élevés qu’une construction traditionnelle, mais elle augmente la valeur du bâtiment à long terme.

De plus, en choisissant des matériaux durables, sains et de haute qualité, en faisant un bon choix de principes d’assemblage et en prévoyant la possibilité de dissocier les éléments selon leur durée de vie individuelle, ces derniers seront plus facilement réutilisables ou recyclables.

Il est également important d’identifier tous les matériaux qui ont été mis en œuvre, et ce, dès la phase de conception. Pour les bâtiments à construire, nous travaillons sur des projets pilotes de création de passeports de matériaux dans l’outil BIM afin de connaître en détail l’inventaire du type de matériaux, des endroits où ils sont utilisés, de leurs spécifications techniques,… Le but étant que ce passeport soit mis à jour tout au long de la vie du bâtiment. Il est alors facile d’en penser la déconstruction et même d’en créer un petit film explicatif! Pour les anciennes bâtisses, la démarche est plus complexe et demande un effort de recherche conséquent. En prévoyant cette étape dès la conception, un gain de temps considérable est opéré. Penser la déconstruction dès la conception n’est pas aussi difficile qu’il n’y paraît, il s’agit d’un même processus, mais inversé.

Parlez-nous de l’outil systématisant l’audit préalable à la déconstruction…

GD: Le LIST a été mandaté par l’Administration de l’Environnement pour établir un procédé type d’inventaire préalable à la démolition, qui constitue une étape exigée par la loi. Dans ce cadre, l’institut nous avait contacté pour réaliser un essai sur le terrain.

Cet outil d’audit préalable à la déconstruction a été lancé cette année et propose une approche systématique en trois étapes en amont des travaux. La première vise à retracer l’histoire du bâtiment, de son utilisation et de ses transformations à travers la documentation et les plans de ce dernier; la deuxième étape consiste en l’analyse des matériaux qui composent la construction de manière systématique pour chaque pièce; la dernière étape veille à la documentation des types de polluants utilisés.

Si nous appliquions déjà la plupart de ces processus sur le terrain, cet outil donne un fil conducteur à notre démarche et nous permet de la systématiser et d’anticiper le déroulement d’un démantèlement afin d’éviter les mauvaises surprises.

Ces projets nécessitent entre autres la collaboration d’architectes, d’ingénieurs techniques et de la statique pour l’identification des matériaux, ainsi que de l’aide de bureaux spécialisés dans les polluants pour leur identification, la collaboration d’entreprises spécialisées dans la déconstruction, et des maîtres d’ouvrage qui pourront aider à trouver des filières de réutilisation.

Quels sont les avantages de cet outil?

GD: Tout d’abord, il permet de réduire le coût d’un projet de 15 à 20% grâce à l’identification des éléments qui pourront être réutilisés; la phase de planification étant plus complète, le coût estimé est souvent plus proche du coût effectif. En parallèle, la mise en décharge – à la fois coûteuse et nocive pour l’environnement – sera réduite. Les transports de matériaux s’en trouvent quant à eux réduits et les ressources limitées luxembourgeoises sont renforcées par cette dynamique de récupération des matières premières. Enfin, cet audit rend le déroulement du chantier plus fluide et fait gagner énormément de temps sur le terrain.

MS: Les mentalités doivent toutefois changer, il ne faut plus considérer un bâtiment comme une pile de déchets mais comme un minier de nouvelles ressources. De plus, il faut accepter qu’une telle planification implique un temps plus long de conception, en amont de la déconstruction, dans un intérêt économique et écologique.

Parlez-nous de vos expériences sur le terrain…

GD: Nous travaillons actuellement à la déconstruction sélective des bureaux Jean Monnet au Kirchberg. Cet édifice datant des années 70, on y retrouve des éléments problématiques comme l’amiante. D’autres matières, comme l’aluminium, y ont été retrouvées mais les profils de l’époque ne sont plus utilisés dans les constructions modernes. Elles conservent toutefois une grande valeur sur le marché des matériaux et pourraient donc être réutilisées.

Le Jean Monnet était principalement constitué de bureaux presque identiques. Partant de ce constat, nous avons convaincu le maître d’ouvrage de démonter entièrement un bureau pour quantifier les éléments le composant et pouvoir calculer proportionnellement la quantité totale de chaque matériau de tout le bâtiment. Le temps que nous avons pris pour réaliser ce «mock-up» au moment de l’étude a été largement rentabilisé par la suite car nous n’avons rencontré aucune surprise et des filières de réutilisation ont pu être cherchées à l’avance.

Nous avons également collaboré avec les CFL pour le démantèlement de bâtiments à Luxembourg et à Mersch. Ces édifices ont nécessité un grand travail d’analyse au vu de leurs reconstructions et adaptations au fil des années. Dans ces projets, les matériaux inertes comme le béton ont par exemple été réutilisés pour combler le terrain en vue de sa prochaine utilisation.

MS: Nous avons également aidé la commune de Bertrange à déconstruire une école. Au moment de l’inventaire avec le maître d’ouvrage, ce dernier a pu prendre conscience du nombre d’éléments, comme des luminaires, des pavés extérieurs ou encore des bacs à fleurs, qui pouvaient être réutilisés. D’autres équipements, comme des bancs d’écoles, ont été envoyés dans des pays en développement. Les maîtres d’ouvrage n’ont pas encore le réflexe de la réutilisation et nous les sensibilisons à cette démarche. La difficulté est de trouver un repreneur pour les différents matériaux et de les stocker pendant cette période de recherche.

GD: A l’heure actuelle, nous estimons qu’il faut environ une année pour parcourir toutes les étapes de la planification de la déconstruction sélective d’un bâtiment ancien. Les maîtres d’ouvrages sont impatients et trouvent ces délais trop longs. Toutefois lorsqu’ils réalisent le potentiel qu’ils peuvent dégager de ce qu’ils considèrent comme des déchets, ils comprennent l’intérêt économique de cette démarche. L’idéal serait qu’ils nous contactent le plus tôt possible, un an ou deux avant leurs échéances, pour que nous ayons le temps de planifier le processus.

MS: Pour réduire ce temps, nous proposons d’estimer au moment de l’inventaire le potentiel que nous pourrions tirer d’une déconstruction et de chercher des acquéreurs avant même le début des travaux. C’est dans cet objectif que nous avons eu l’idée de créer une plateforme de matériaux au niveau de notre bureau d’études. Chacun peut y proposer les matériaux à récupérer sur ses chantiers et nos collègues peuvent y trouver leur bonheur pour leurs projets de construction. Dans le futur, nous espérons que cette dynamique servira d’exemple pour la création d’une plateforme à échelle nationale.

 

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