L´avenir dans la recherche

La recherche et l´innovation sont une voie nécessaire pour le développement économique du pays. Si tous les acteurs privés et publics en sont convaincus, ils n´oublient pas que le Luxembourg ne peut développer une recherche tous azimuts, sous peine de voir les acteurs économiques s´y perdre. L´accent est donc mis sur le développement dans certains domaines bien définis.

Source : PaperJam
Date de publication : 01/06/2014

 

Le tissu économique s’articule autour de plusieurs axes, dont la recherche n’est pas le moindre. La recherche publique au Luxembourg connaît un dynamisme propre à sa jeunesse, mais aussi à une volonté politique qui s’inscrit dans une démarche d’anticipation et de spécialisation. «À l’époque, nous avons toujours su développer des niches, car nous disposions d’un environnement législatif favorable. Depuis, et avec la nécessité d’une harmonisation européenne, créer des niches de souveraineté est bien moins facile», reconnaît Mario Grotz, directeur général de la recherche, de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies au ministère de l’Économie.

La recherche et l’innovation ont donc pour vocation de prendre le relais et de stimuler l’économie au travers d’une politique orientée vers le long terme. Mais, conscient que courir plusieurs lièvres à la fois s’avère souvent contre-productif, le gouvernement a cherché à définir des domaines d’innovation prioritaires et de les développer dans une optique de renforcement de secteurs «historiques» et de secteurs en devenir. Il s’agit plus spécifiquement de la biotechnologie, des écotechnologies, de la science des matériaux, de l’ICT et des technologies spatiales. Concrètement, la recherche publique vise à développer ces domaines de compétences au travers de diverses structures (CRP, Université, etc.), mais aussi à tisser des partenariats avec des entreprises privées, le ministère de la Recherche donnant son écot au travers d’aides aux entreprises par le biais, notamment, d’une petite dizaine d’instruments permettant de cofinancer des projets privés. En 2013, par exemple, 154 projets privés ont été cofinancéspar l’État, dont une centaine de projets R&D. Parmi ces derniers, 55% étaient liés à la science des matériaux, ce qui, vu le passé industriel de l’économie luxembourgeoise et la présence de grands acteurs internationaux dans ce secteur, s’explique aisément. L’environnement de la recherche, du développement et de l’innovation déploie ses ailes, peu à peu, mais pâtit encore de quelques faiblesses, parmi lesquelles l’absence d’une structure à dimension internationale. La fusion en cours du CRP Henri Tudor et du CRP Gabriel Lippmann doit répondre à ce manque, que le Grand-Duché souhaite combler d’ici 2018. «D’abord, les deux CRP ont des domaines de compétences identiques (matériaux et ICT par exemple). Les rassembler découle donc d’une volonté d’optimisation, explique Mario Grotz. Ensuite, en mettant en place une structure plus grande avec ce ‘New CRP’, le Luxembourg pourra enfin se positionner parmi les États faisant preuve d’un haut degré d’engagement en R&D, sur le plan européen déjà. Avec un effectif de départ de plus de 700 scientifiques, ingénieurs de recherche et spécialistes en innovation hautement qualifiés, les équipes atteindront alors une masse critique satisfaisante. Ce nouveau CRP aura également des effets positifs sur les services à apporter aux entreprises.»

Des premiers pas probants

Pour M. Grotz, la recherche publique d’un pays est sans conteste l’un des moteurs d’une économie en croissance. «Si le pays parvient à ancrer la recherche sur son territoire, les risques de voir les entreprises quitter le Luxembourg seront bien moindres», affirme-t-il. Les partenariats entre public et privé se développent, en témoignent les relations entre Guardian Industries et l’Université ou encore les contacts étroits entre cette même université et ArcelorMittal, concrétisés notamment par le financement d’une chaire consacrée à l’ingénierie des façades. «Mais l’exemple le plus concret de collaborations émane certainement de la SnT (Interdisciplinary Centre for Security, Reliability and Trust, ndlr), qui a tissé des liens étroits avec une trentaine d’entreprises privées. Ces relations ont permis à ces sociétés d’aborder des projets phares, mais risqués, qui sinon n’auraient certainement pas vu le jour», développe M. Grotz.

Il faut y veiller, d’autant plus que la ligne directrice établie par Bruxelles laisse entrevoir une probable suppression de nombreux instruments de cofinancement.

 

«Comment la recherche peut­elle contribuer à la diversification économique ?»

Fernand Reinig. Directeur (CRP - Gabriel Lippmann)

Le LIST: un nouvel institut de recherche créé en ce sens

« La question n'est pas de savoir comment la recherche peut contribuer à la diversification de l'économie, mais comment elle va le faire. Depuis deux ans, nous travaillons au regroupement du CRP Henri Tudor et du CRP - Gabriel Lippmann au sein du nouveau Luxembourg Institute for Science and Technology (LIST). Le choix détaillé des axes de recherche retenus pour ce nouveau centre de recherche s'est fait prioritairement sur base de leur capacité de créer un impact à moyen terme sur l'économie et la société du Luxembourg, mais aussi de répondre ainsi aux défis sociétaux auxquels est confronté également notre pays, comme les questions environnementales, l'économie durable, la santé et le vieillissement de la population ou la mobilité.

Les activités du centre auront un impact sur les acteurs économiques du secteur privé et publiC en place pour les aider, à court terme, à améliorer leurs produits et services, à renforcer leur compétitivité. Le LIST aura aussi un impact sur des acteurs qui proposeront demain, donc à moyen terme, de nouveaux produits ou services basés sur l'innovation dans les 'key enabling technologies'.

Si l'ambition du LIST est de figurer dans le top 10 des organisations de recherche et de technologies (RTO) en Europe dans six axes prioritaires, il aspire pour le reste à devenir un partenaire clé dans le développement socio-économique du Luxembourg. Sa stratégie permettra de faire reconnaître le Luxembourg comme un centre d'excellence pour l'innovation basée sur la recherche à l'échelle de la Grande Région, d'attirer et fidéliser de nouvelles entreprises internationales au sein d'une économie nationale diversifiée, et de créer de la valeur grâce à un échange constant de connaissances et de technologies visant à promouvoir la croissance économique. »

Jean-Claude Schmit. Directeur général (CRP-Santé)

La recherche biomédicale comme moteur de diversité économique

« Entérinée en 2000, la stratégie de Lisbonne place la recherche au coeur d'une économie européenne basée sur la connaissance et l'innovation, moteurs de diversification. Rien n'est moins vrai dans le secteur biomédical où la recherche permet d'acquérir les connaissances scientifiques nouvelles indispensables pour la compréhension des mécanismes biologiques conduisant à l'apparition de maladies. La recherche a permis l'émergence d'une médecine dite personnalisée qui consiste à apporter à chaque patient le meilleur traitement correspondant aux caractéristiques spécifiques de sa maladie. Cette véritable 'révolution thérapeutique', déjà d'application pour le traitement ciblé de certains cancers, impacte toute la chaîne de valeur du développement des médicaments. Ainsi, de nouveaux outils informatiques sont devenus indispensables pour le traitement et le stockage sécurisé de grands volumes de données génétiques, pharmaceutiques et cliniques, alors qu'en parallèle, le recours aux nanotechnologies permet la conception d'outils de diagnostic précoce d'une maladie basé sur des biomarqueurs ou de suivi de paramètres vitaux de patients à distance.

Le CRP-Santé participe activement à cette nouvelle dynamique du secteur biomédical au travers de l'excellence de sa recherche fondamentale et de sa recherche clinique. Cette excellence est un élément clé que viennent chercher les entreprises principalement européennes qui collaborent avec les chercheurs en vue de diversifier leurs activités. La recherche menée au CRP-Santé a par ailleurs conduit à la création d'une start-up biopharmaceutique, Complix Sàrl, preuve que les expertises biomédicales présentes au niveau national constituent un réel atout pour le développement du tissu économique du pays. Il faut néanmoins garder à l'esprit le défi majeur du besoin très important en capital associé au développement économique du secteur biomédical. Le savoir, c'est aussi se donner les moyens d'y croire ... »

Marc Schiltz. Secrétaire général (Fonds national de la recherche)

Une approche à moyen et à long termes

« Certains secteurs de notre économie, comme les technologies de l'information et de la communication et les matériaux innovants, couvrent des activités technologiques de pointe.

Il s'agit donc d'un terrain propice à la création d'interactions étroites entre les instituts ou laboratoires de recherche et les entreprises. Des exemples de coopérations de ce type ne manquent pas, le mode de collaboration étant la plupart du temps celui de la recherche en partenariat: les chercheurs des institutions publiques (Université, CRP) mènent ainsi des projets de recherche avec le soutien financier et en collaboration avec les entreprises intéressées. Cette approche, qui consiste à calquer plus ou moins les orientations stratégiques de la recherche publique sur le paysage économique et industriel présent, comporte beaucoup de mérites, mais aussi un certain nombre de limites.

Le véritable développement de la recherche et, donc, l'instauration d'une culture de la recherche et de l'innovation, ne peuvent se faire qu'en partant de l'existant. La recherche est, par sa nature même, un avancement. certes méthodique, dans un terrain inconnu. Nous devons donc également développer de nouveaux secteurs de la recherche, pour lesquels il n'existe pas encore (ou peu) d'activités économiques dans le pays. Un bon exemple à cet égard est le développement de la recherche en biologie systémique avec ses perspectives d'innovation pour la médecine personnalisée. Il s'agit bien de recherche fondamentale, dont les retombées économiques éventuelles (en termes de création de propriété industrielle et/ou de création d'entreprises) n'apparaîtront qu'à moyen et à long termes. Mais c'est ce chemin qu'il faut emprunter pour créer un secteur de la recherche durable. Dans les années à venir, il faudra encore choisir deux ou trois autres niches de recherche à développer dans notre pays, les choix en eux-mêmes étant cependant moins importants que la méthode. »

Alfred Steinherr. Directeur académique (Sacred Heart University)

La concurrence monopolistique ; une réalité et non pas un oxymore

« Les marchés peuvent être classifiés en trois types: concurrence parfaite, monopole/oligopole et concurrence monopolistique. Dans les deux premiers cas, la recherche joue un rôle limité. Bien sûr, la recherche est importante pour les produits agricoles et donne lieu à plus de diversité. Aussi. un monopole fait de la recherche, mais a peu de raisons de le faire. La plupart des secteurs importants au Luxembourg sont de type de concurrence monopolistique. Il ne s'agit pas d'un oxymore. Par exemple, BMW subit la concurrence de tous les autres producteurs de voitures, d'où la 'concurrence', mais est l'unique producteur de BMW, d'où le 'monopolistique'. Une BMW est plus qu'une voiture, c'est une BMW. Nous appelons cela la valeur d'une marque. Pour développer une marque, il faut différencier les produits pour leur donner une valeur reconnaissable, il faut offrir quelque chose d'unique.

Ce qui vaut pour BMW vaut pour les entreprises financières dans le pays, comme Bofferding, Paul Wurth, ArcelorMittal, etc. Dans ces marchés de concurrence monopolistique, la recherche et le développement de nouvelles méthodes de production, de vente ou de nouveaux produits sont nécessaires pour la survie.

Les nouveaux produits sont rapidement copiés par les concurrents donc il faut une filière d'innovation continue.

Une partie de ces innovations sert à remplacer un produit rendu obsolète par un nouveau. Une autre partie sert à différencier pour élargir l'accès à la clientèle. Souvent, le gain est plus important pour un produit radicalement différent.

La 'recherche' est souvent, mais pas nécessairement, une recherche scientifique. Le 'SUV' et la 'family car' ont rencontré un succès extraordinaire dans l'industrie automobile sans beaucoup de recherche scientifique, mais, par contre, avec beaucoup de recherche pour établir les préférences des utilisateurs. Néanmoins, il faut aussi reconnaître que toutes les grandes époques de forte croissance furent le résultat de poussées scientifiques. »

Tom Majeres. Conseiller économique (Chambre des métiers)

L'innovation est une réalité dans l'artisanat

« Si l'on s'en tient à la définition de l'innovation telle qu'entendue dans le milieu industriel, où elle est souvent associée aux notions de recherche et de développement, les entreprises artisanales pourraient sembler loin de ce concept. Néanmoins, le potentiel d'innovation de ces dernières est important, multiforme et permanent. Linnovation artisanale est bien rarement le fruit d'une innovation pure et Simple de techniques ou de nouveaux produits, mais celui de nouvelles combinaisons de ressources internes ou externes, et ce afin de réagir au quotidien aux différents besoins de la clientèle. Si innover consiste à mettre en application des idées nouvelles, trouver des idées afin de s'adapter à des situations inédites est un défi que relèvent chaque jour nos artisans.

L'entreprise artisanale innovante est celle qui se sert de ses propres traditions comme d'un socle de base afin d'innover et d'évoluer. L'artisan doit se conformer aux nouvelles technologies, faire face à l'apparition de nouveaux concurrents, à l'arrivée d'industriels sur son secteur. Innover, c'est s'adapter. En ce sens, le savoir­faire artisanal, constitué de traditions, de gestes techniques justes, précis, maîtrisés, est une véritable force pour l'entreprise, lui permettant sans cesse d'explorer de nouvelles possibilités. Le pragmatisme, le volontarisme, la faculté d'adaptation et de réalisation d'activités sur mesure permettent aux entreprises artisanales d'innover. Avec une perpétuelle transmission des gestes, c'est également la faculté d'inventer l'avenir qui se transmet. »

Carlo Harpes. Gérant (Itrust Consulting)

Appliquons les fruits de la recherche au Luxembourg!

« Itrust Consulting, tout comme d'autres PME innovantes créées ces dernières années, a bien profité d'une stratégie de croissance fondée sur la recherche cofinancée. Cette recherche, qui représente plus de 38% de notre chiffre d'affaires, a permis de développer deux brevets, plusieurs produits, et de multiples connaissances, dans l'intérêt de nos clients. Mais le vrai défi au Luxembourg réside dans la commercialisation des fruits de cette recherche. Avant de réussir sur un marché international, il est propice de montrer qu'une nouvelle idée a pu convaincre les acteurs locaux. Le gouvernement a reconnu l'intérêt national de la recherche et de l'innovation en créant une université et l'agence luxinnovation qui motive les entreprises à innover. Cependant, il faut constater que l'Etat, ainsi que les grandes entreprises dirigées par l'Etat, ne montrent pas toujours l'exemple en innovant eux-mêmes ou en achetant les produits innovants. Leurs décisions sont prises en vue de réduire les coûts à court terme, au lieu de privilégier la maîtrise technologique ou un renforcement de l'économie nationale. De même, les indicateurs de performances de la recherche publique sont inappropriés. En effet, ils tendent à réduire les coûts et à empêcher la compétition (fusion des CRP), elle encourage les CRP à concurrencer d'autres acteurs privés, au lieu de renforcer une renommée internationale et de préparer le Luxembourg aux technologies de demain. Le Luxembourg, jadis exportateur de services innovants - je pense notamment à Paul Wurth, à la SES, aux fonds d'investissement -, tend vers un pays de consommation, sans réelle maîtrise technologique. Pourtant, un partenariat entre l'Etat comme utilisateur d'innovation et le secteur privé qui produit des innovations de façon compétitive permettra de créer des produits et des services qui s'appliquent d'abord à l'échelle du Luxembourg avant d'être appliqués au niveau international. »

Marc Lemmer. Directeur général (CRP Henri Tudor)

Une contribution pluridimensionnelle

« La recherche publique doit servir la politique de diversification économique du gouvernement, et ce sur plusieurs plans. Premièrement, la création d'une reconnaissance et d'une visibilité internationale pour la recherche luxembourgeoise, via les publications scientifiques de nos chercheurs, doit permettre d'attirer au Luxembourg des scientifiques de haut niveau et de nouvelles entreprises partenaires et créer ainsi de nouvelles opportunités de développement pour le pays. Deuxièmement, la recherche publique doit supporter les entreprises dans leur mutation vers de nouvelles technologies, les aider à améliorer leurs produits ou services ou à en créer de nouveaux et leur permettre ainsi de se diversifier et de gagner en compétitivité. Des dizaines d'entreprises sont ainsi accompagnées par le CRP Henri Tudor. Dans le projet 'INTERREG +Composites' mené avec 12 partenaires européens, les PME industrielles sont accompagnées vers les matériaux composites. Troisièmement, les activités de recherche doivent générer des spin-off créatrices d'emploi. En 2013, nous avons créé la spin-off OAT SA qui commercialise à l'international un outil d'évaluation des compétences par ordinateur développé au Luxembourg. Enfin, grâce à la recherche collaborative, les entreprises, surtout les PME, ont accès à des compétences scientifiques, des réseaux internationaux et des fonds publics auxquels elles n'auraient pas pu accéder autrement.

Bien sûr, ces activités doivent s'inscrire dans les secteurs déclarés par le gouvernement comme prioritaires pour la diversification économique: écotechnologies, biotechnologies, TIC et logistique. Le regroupement prochain du CRP Henri Tudor et du CRP - Gabriel Lippmann renforcera cet impact. »


Jean-Marc Streit

 

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