L'espace, le futur de l'agriculture

Le «Luxembourg Earth Observation and Integrated Applications Day» avait lieu hier au domaine thermal. Organisé par le Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST), ce rendez-vous est un croisement entre le monde de la recherche et celui de l'entreprise. Un des angles abordés était le développement de l'agriculture de précision, un domaine où le Grand-Duché n'est pas à la traîne.

Source : Le Quotidien
Date de publication : 20/04/2018

C'est Gilles Rock, de la société Geocoptix (basée à Capellen et Trèves), qui l'expliquait en introduction de sa présentation : « Avec l'augmentation de la population mondiale, il est impératif que l'agriculture soit plus efficace, car il faut produire davantage tout en ayant moins de terres arables (NDLR : à cause de l'urbanisation et de l'érosion des sols) , moins d'eau et moins de ressources. » Combiné au changement climatique dont les effets se font désormais clairement sentir sous nos latitudes et à l'impératif de mener notre développement de manière plus respectueuse envers la planète, le défi est immense et la nécessité de faire appel aux scientifiques évidente. Les recherches menées, entre autres, par le LIST en sont une parfaite illustration.

La question, désormais, est de développer une agriculture de précision. Ici, le sujet n'est pas de booster de manière artificielle la croissance des plantes en les gavant de produits phytosanitaires, c'est tout le contraire. Il s'agit de mieux comprendre leurs besoins et leurs manques, quasiment en temps réel, afin de donner à l'agriculteur les informations qui lui permettront d'intervenir de manière très précise pour éviter au maximum les pertes de rendement.

« Pour mener une agriculture de précision, ajoute Gilles Rock, il faut des données. » Et ces données, elles viennent le plus souvent... de l'espace. Grâce au programme européen de surveillance de la Terre appelé Copernicus, ces informations sont disponibles grâce à quatre satellites. Sentinel-1A a été lancé depuis Kourou (Guyane) le 3 avril 2014, Sentinel-1B a attrapé son orbite le 25 avril 2016, Sentinel-2A est en service depuis le 23 juin 2015 et Sentinel-2B les a rejoints le 7 mars 2017. Cette initiative, menée conjointement par l'Agence spatiale européenne et l'Agence européenne pour l'environnement, met ces données en accès libre.

Que peut-on apprendre des cultures depuis l'espace? Beaucoup de choses! En Belgique, par exemple, une initiative a été lancée par les grands producteurs de pommes de terre. « La production augmente car les besoins augmentent, explique Isabelle Piccard, en charge du projet WatchITgro. Or pour accroître les rendements, nous avons besoin de nouveaux instruments. »

Les premiers outils existent déjà

Grâce aux satellites, les champs de pommes de terre belges peuvent être surveillés de près. La couleur permet par exemple de déterminer le développement des plants, du marron de la terre au vert des feuilles qui jaunissent en fin de cycle, l'heure de la récolte approchant. Cette analyse permet même d'identifier l'hétérogénéité de la croissance au sein d'un même champ et depuis l'espace, d'en déterminer les causes : manque d'eau, manque d'azote, maladies, épidémies... Depuis mars 2017, le projet est opérationnel et ces nouveaux outils sont à la disposition des agriculteurs. Ils peuvent donc adopter leurs interventions de manière très précises et mieux prévoir les rendements.

Ces avancées qui feront le quotidien des agriculteurs dans les prochaines années vont nécessiter une réorganisation du secteur. La législation, notamment, devra être adaptée. Grâce à ces nouvelles technologies, de nouveaux métiers et de nouveaux outils vont apparaître. Tamme van der Wal, de la société néerlandaise AeroVision qui fournit à partir des images satellitaires (ou de drones s'il y a trop de nuages) des conseils aux agriculteurs, imagine « des machines qui pulvériseront différentes quantités selon l'emplacement dans un même champ ». Avantage en prime : ce gain d'efficacité permettra d'utiliser moins d'entrants. Les tracteurs de demain, avec leurs technologies embarquées, n'auront sans doute plus grand-chose à voir avec ceux d'aujourd'hui!

«Le LIST doit faire de la recherche à impact»

Le directeur du LIST, Lucien Hoffmann, voit d'un très bon œil le développement du secteur spatial au pays.

Le LIST travaille beaucoup sur l'agriculture de précision. La création d'un spin-off en collaboration, notamment, avec l'université de Liège est une illustration très positive de ces efforts...

Lucien Hoffmann : Bien sûr, il s'agit de la deuxième entreprise créée à partir de recherches effectuées au LIST. Il y a aussi RTC4Water, qui offre la possibilité de mieux gérer les systèmes de distribution d'eau. Ces deux exemples illustrent ce que doit faire le LIST : de la recherche à impact. Nous ne sommes pas une université, les recherches que nous menons doivent amener des résultats exploitables au sein d'entreprises. D'où la nécessité d'organiser depuis dix ans le Luxembourg Earth Observation and Integrated Applications Day.

Est-ce que ces deux mondes, celui de la recherche et celui de l'entreprise, parviennent à bien communiquer?

Il le faut! Aujourd'hui, nous avons essayé d'équilibrer les communications équitablement entre les chercheurs et les entrepreneurs, j'espère que nous y sommes parvenus. Ce qui me réjouit, c'est que lors de la première journée – il y a 10 ans –, nous n'avions qu'une seule entreprise qui utilisait des données obtenues par des satellites sur le territoire luxembourgeois. Aujourd'hui, je ne pourrais même pas vous dire combien elles sont, tellement il y en a! Pour nous, c'est extrêmement positif puisque nous avons beaucoup d'interlocuteurs à proximité immédiate.

À quel point la décision qu'a prise le pays ces dernières années de développer son secteur spatial est bénéfique pour le LIST?

Ces derniers temps, beaucoup d'entreprises sont arrivées grâce à cette orientation. Elles visent le space mining, mais il faudra encore 30, 40 ou 50 ans avant d'y arriver. Personne ne sait vraiment combien de temps cela prendra. Mais en attendant, elles ont besoin de faire entrer de l'argent et l'un des moyens, c'est l'exploitation des données satellitaires. En attendant que l'exploitation des ressources spatiales soit une réalité, ce secteur d'activité est donc en pleine croissance au Luxembourg. Pour le LIST, cette situation est très intéressante.


Ypanema : quand les recherches débouchent sur du concret

Ypanema, ce n'est pas le Brésil. Il s'agit de l'acronyme de Yield prevision and nitrogen management (prévision des rendements et gestion de l'azote) qui est le nom d'un spin-off créé conjointement par le LIST, l'université de Liège et une société française, Wanaka. Qu'est-ce qu'un spin-off? Il s'agit d'une entreprise fondée en partie par un centre de recherche à partir de données ou de méthodes qu'il a lui-même produites. Bernard Tychon, de l'université de Liège, explique qu'Ypanema est né « pour proposer aux agriculteurs des outils qui permettent l'agriculture de précision ». En multipliant les modèles construits grâce aux informations obtenues par les satellites et les drones et à l'implémentation des données locales (météorologiques, notamment), Ypanema permet d'augmenter la qualité et les rendements (blé, betterave et colza pour l'instant). « Les premiers produits sont déjà disponibles et nous espérons que l'ensemble des outils seront opérationnels d'ici deux ans », explique le chercheur. Bernard Tychon met toutefois en garde : « Ces outils ne doivent pas être utilisés seuls, ils doivent être mis en relation avec des modèles plus vastes.» On est rassuré : le bon sens paysan n'est donc pas totalement voué à disparaître!


Bientôt un nouveau Sentinel

Un nouveau satellite Sentinel va s'élancer du cosmodrome russe de Plesetsk dans cinq jours, le 25 avril à 9 h 57. «Sentinel-3B est le septième satellite lancé au titre du programme européen Copernicus, dont chaque mission embarque des technologies de pointe pour fournir les flux complémentaires d'images et de données qui sont au cœur de ce programme de surveillance de l'environnement sans équivalent», explique l'Agence spatiale européenne sur son site internet. La mission des deux satellites Sentinel-3 est la plus complexe du programme Copernicus. Sa mission sera de mesurer la température, la couleur et la hauteur de surface des océans ainsi que l'épaisseur des glaces de mer. Ces données serviront, par exemple, à suivre l'évolution du niveau des mers, de la pollution marine ou de la productivité biologique de l'écosystème marin.


Erwan Nonet

 

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