L´union fait la force

Le secteur de la recherche au Luxembourg va bientôt être bouleversé par le regroupement de ses deux plus grands centres publics que sont le CRP – Gabriel Lippmann et le CRP – Henri Tudor. Un projet d´envergure, mais aussi un réel défi, dont le but n´est pas de juxtaposer les activités respectives des deux entités, mais de les remettre en cause pour se focaliser sur un nombre limité de sujets dont l´impact socio-économique constitue la raison d´être primordiale des institutions existantes et futures. Interview de Fernand Reinig, directeur du CRP – Gabriel Lippmann.

Source : Lëtzebuerger Gemengen
Date de publication : 01/06/2013

 

L’état luxembourgeois, par le biais du Fonds National de la Recherche, investit des sommes importantes dans la recherche et continuera d’investir, alors que d’autres activités sont sujettes à des coupes budgétaires. La question qui se pose dès lors pour le citoyen est de savoir à quoi sert la recherche. Pouvez-vous nous rappeler la mission d’un centre de recherche public?

La mission d’un centre de recherche public, telle qu’elle est définie dans la loi de 1987, est de mener des travaux de recherche orientés vers l’application socio-économique. Cette mission restera la même après l’abrogation de la loi de 1987 par une nouvelle loi dont le projet a été déposé début janvier par le gouvernement à la Chambre des Députés ; cette dernière visant à réorganiser les CRP existants.

Il est notamment question dans ce projet de loi de regrouper deux des quatre CRP existants. Où en est ce projet?

Nous en sommes à mi-chemin, au moins en ce qui concerne le temps. L’idée du regroupement est née au sein des deux conseils d’administration du CRP – Gabriel Lippmann et du CRP – Henri Tudor au moment où le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche travaillait sur la rédaction du nouveau projet de loi. François Biltgen, qui était alors ministre, a accueilli favorablement notre proposition et l’a intégrée dans l’avant-projet de loi introduisant la dissolution de deux centres existants et la création d’un nouveau centre qui porte, pour le moment, le nom de Luxembourg Institute for Science and Technology ou LIST. La décision finale de réaliser l’opération appartient naturellement à la Chambre des Députés, mais nous sommes en droit de supposer, vu le consensus entre tous les acteurs, que ce sera le cas et, en principe, le vote devrait avoir lieu avant la fin de cette année. Le regroupement opérationnel, c’est-à-dire le moment où les deux centres n’en formeront plus qu’un, est fixé à janvier 2015.

Nous avons réalisé ces derniers mois un inventaire des situations de part et d’autre. Nous avons défini une mission générale, une vision et une stratégie. Nous sommes en train, sur base de l’analyse de l’existant, de déterminer les thèmes scientifiques qui seront traités ainsi que les fondements des futures unités de recherche. Nous travaillons également sur les structures organisationnelles du nouveau centre. Tous ces points devraient être clairs d’ici cet été. Il faudra ensuite implémenter concrètement les résultats de ces réflexions.

Ce regroupement s’inscrit-il dans une logique d’optimisation des dépenses?

Notre ministère de tutelle n’a nullement l’intention de faire des économies d’échelle et de réduire ses contributions. Nous espérons, en regroupant deux centres qui, dans le passé, abordaient des thèmes scientifiques voisins et avaient des applications proches, créer des synergies et avoir au Luxembourg un institut de recherche qui, avec entre 700 et 800 employés, sera de taille tout à fait honorable, au moins pour le pays.

Qu’est-ce que ce regroupement va permettre de plus que ce qui se fait déjà?

La recherche est un métier concurrentiel. Dans le monde entier, des chercheurs travaillent pour rendre leur économie respective plus compétitive en développant des produits et des services innovants basés sur des connaissances scientifiques. Un des objectifs du regroupement est clairement d’atteindre une masse critique et une visibilité internationale. Aujourd’hui, il est important pour une entreprise de pouvoir s’adresser à un centre reconnu par ses pairs comme une référence européenne, voire internationale, dans ses domaines de compétences ; et pour le devenir, il faut obligatoirement des équipes plus grandes. Notre vision serait d’avoir, à moyen terme, au Luxembourg deux pôles de recherche forts: un pôle universitaire orienté sur la recherche fondamentale d’une part, et d’autre part un pôle axé sur la recherche appliquée qui regrouperait non seulement les CRP – Henri Tudor et Gabriel Lippmann mais aussi, dans un second temps, le CRP-Santé et le CEPS/INSTEAD.

La convention pluriannuelle 2011-2013 que le CRP – Gabriel Lippmann a signé avec l’état prévoit un recentrement des activités «sur un nombre restreint de thématiques scientifiques dont une au moins a un fort potentiel d’innovation et de valorisation à moyen terme». Quelles sont ces thématiques?

Nous avons effectivement restructuré certaines activités, plus particulièrement dans le domaine ICT. Dans la mesure où les activités que nous déployons atteignent un certain degré de maturité et peuvent se concevoir comme une activité économique rentable, elles n’ont plus leur place au sein d’un centre de recherche, puisque précisément l’aspect recherche passe à l’arrière-plan. Un des moyens de valoriser les résultats de notre travail est alors la création de sociétés spin-off. C’est le cas d’ABACUS consulting & solutions, fondée par trois chercheurs du CRP – Gabriel Lippmann (Guy Simon, Fernand Feltz et Pascal Bauler), qui commercialise des méthodes logicielles modernes, interactives et qui favorisent la coopération entre différents acteurs économiques. Ces méthodes ont été développées au sein du CRP et rodées au cours des cinq dernières années à travers des projets avec la Chambre des Députés, la Chambre de Commerce ou encore la Caisse Nationale de Prestations Familiales.

Nous avons également continué à développer l’axe ‘nanomatériaux’ avec la mise en place d’une salle blanche inaugurée l’année passée en présence d’un prix Nobel de physique français spécialisé dans ce domaine.

Nous avons recruté un nouveau directeur scientifique pour notre département ‘Matériaux’, le Professeur Jens Kreisel, qui apporte une nouvelle activité: les multiferroics. Ce sont des matériaux qui possèdent la propriété de réagir à la lumière, à la pression, aux mouvements ou aux changements du champ électrique ou magnétique, permettant ainsi de collecter l’énergie ambiante pour la restituer, avec des applications futures intéressantes notamment dans ce qu’on appelle l’électronique invisible qui peut être intégrée à une fenêtre, au pare-brise d’une voiture, à des verres de lunettes ou à un écran.

Pouvez-vous citer d’autres exemples d’applications concrètes des projets actuels?

Un de nos projets vise à utiliser la télédétection au moyen de drones, pour, par exemple, prévenir des problèmes d’inondation, détecter des maladies qui peuvent atteindre les forêts ou soigner les cultures attaquées par des insectes en utilisant les pesticides avec parcimonie, au lieu d’en arroser abondamment et sans réfléchir des plantes que nous mangerons par après. Les drones permettent également d’obtenir des informations sur les différentes couches de l’eau sur la terre. Cette technologie s’est aujourd’hui étendue au domaine civil, elle est moins coûteuse, plus précise et plus flexible que les images par satellite. Nous travaillons sur les algorithmes d’interprétation de ces images pour en tirer l’information utile.

Un autre projet qui est intéressant parce qu’il est interdisciplinaire -et l’interdisciplinarité est un point fort que nous mettons en avant au sein du CRP – Gabriel Lippmann, et que nous essayerons aussi de favoriser dans le nouveau centre de recherche- est le développement d’un spectromètre portable. C’est souvent à la confluence de deux sciences que l’on trouve des choses intéressantes. Cet appareil en est l’exemple puisqu’il a été conçu par des spécialistes de l’instrumentation scientifique conjointement avec des spécialistes en hydrologie. Les spectromètres sont classiquement des instruments de laboratoire qui mesurent avec une grande précision des substances qui se trouvent dans l’eau ou l’air, par exemple pour déterminer s’ils sont pollués. Leur inconvénient majeur est qu’ils sont très lourds et nécessitent que l’on porte l’échantillon à analyser de l’endroit où on le capte au laboratoire. Ils ne sont donc pas adaptés à des contextes où l’on aurait besoin de pratiquer des analyses plus fréquentes, pratiquement instantanées, pour suivre une évolution ou quand l’objet à analyser ne peut pas être transporté. Nous avons déposé un brevet pour cet instrument, le brevet étant, à côté des sociétés spin-off, un autre moyen de valoriser les résultats de la recherche. Ce brevet devrait donner lieu à un prototype d’appareil qui sera par la suite commercialisé par une entreprise qui payera des royalties au CRP – Gabriel Lippmann.

 

Partager cette page :