Efficaces et éco-responsables

Le digital apporte des solutions aux problèmes récurrents des agriculteurs: le manque de moyens, l'optimisation des ressources et la demande croissante d'une agriculture responsable.

Source : Le Jeudi
Date de publication : 17/11/2016

 

L'agriculture du futur sera une agriculture de précision ou ne sera pas. Mais qu'est-ce qu'une agriculture de précision?

Ce concept qui nous vient des Etats-Unis repose sur trois objectifs principaux: la prise en compte du respect de l'environnement, répondre à la demande des consommateurs en termes de traçabilité des produits et adapter les ressources en main-d'œuvre, en temps et en produits aux besoins réels des cultures. Trois objectifs que le numérique et la digitalisation rendent possibles. Après d'autres, à savoir la finance ou l'industrie, l'agriculture change d'ère.

Pour Heico Koch, docteur en génie mécanique et fondateur du site trademachines.com, et Camille Richer, responsable communication, le marché des technologies dans l'agriculture recouvre différentes réalités. «Les technologies se développent beaucoup dans l'agriculture avec l'idée de maximiser les ressources pour être plus efficace.» Ces technologies peuvent se classer en plusieurs grandes familles: les machines contrôlées par GPS – les tracteurs, mais aussi les drones – et les robots agricoles. «Elles permettent à l'agriculteur de se concentrer sur des tâches pour lesquelles l'intelligence humaine est indispensable.»

Dans l'agriculture 2.0, les engins sont bourrés de capteurs capables de mesurer pêle-mêle le manque d'azote ou d'eau et la présence de mauvaises herbes, d'insectes ou de maladies... Autant d'informations qui peuvent être utilisées pour poser des diagnostics sur la qualité des futures récoltes, aider à la prise de décision pour d'éventuels traitements et ajuster au mieux la quantité des «intrants», comprendre les semences et les engrais.

Ces «engins» ont été les stars du dernier salon de l'agriculture de Paris, où on a pu voir en action ou tester des drones pour le traitement des champs et des lunettes connectées permettant de compter les parasites dans les cultures ou les grains de maïs sur les épis. Et même des smartphones qui, correctement équipés des logiciels adéquats, sont capables de diagnostiquer l'état d'un champ.

Certaines de ces technologies sont poussées par des intervenants habituels du secteur. Comme, par exemple, les fabricants d'engrais. Les systèmes N-Sensor et GPN permettent une analyse des plantes au sol. Des capteurs optiques, fixés sur les tracteurs, mesurent en temps réel le taux de photosynthèse des plantes, fournissant ainsi des indications sur leurs besoins en fertilisation ou traitements.

D'autres intervenants viennent du secteur de la haute technologie. A l'instar d'Astrium, une filiale d'EADS qui propose via son programme Farmstar d'utiliser les données des satellites. Il suffit d'un ordinateur et d'un GPS relié à un semoir ou un pulvérisateur pour faire varier la densité des semis et calculer au plus juste les quantités d'engrais et de produits phytosanitaires en fonction des caractéristiques du champ. Plus près de chez nous, SES, via sa filiale Astra connect, s'intéresse au monde de l'agriculture et propose différentes solutions de connectivité.

Déploiement progressif

Les exemples pourraient être déclinés à l'infini. Il n'en demeure pas moins vrai que l'on en est encore pour l'instant à une phase de déploiement de ces technologies.

Un déploiement qui se fait actuellement plutôt dans le domaine céréalier et dans de grandes exploitations. Il est vrai que le prix reste très élevé et que l'amortissement est plus facile quand la surface traitée est grande.

«Le recours à ces nouvelles technologies reste encore peu répandu pour une double cause, le manque d'information et le coût élevé des machines. Cela existe, mais peu nombreux sont ceux qui peuvent se les offrir, surtout si l'exploitation est de petite taille» , constatent Heico Koch et Camille Richer.

Ce frein ne devrait être que temporaire. Le coût des équipements baissera au fur et à mesure que leur production se fera à une plus grande échelle et leur adoption aura alors lieu au rythme du renouvellement des matériels. Quant aux avantages, personne ne les contestent. Financiers, bien sûr, avec une maîtrise des coûts des ressources, mais aussi sociétaux avec une meilleure prise en compte des contraintes environnementales. On estime qu'en France, ces technologies ont permis d'«économiser» 100.000 tonnes de produits azotés.

Petit bémol cependant, ces dispositifs favorisent actuellement une mono-agriculture extensive au détriment de la régulation biologique des écosystèmes. Le revers de la médaille de la hausse des rendements.

Les agriculteurs qui ne peuvent encore investir dans ces machines ne sont cependant pas des laissés-pour-compte du progrès. A côté de tout ce volet «hardware» existe un autre domaine où les nouvelles technologies se mettent au service des exploitations: celui d'internet et plus particulièrement les réseaux sociaux.

«Dans le contexte d'un monde agricole très dispersé, ces réseaux permettent de grouper les ressources et de s'entraider.» On n'en est pas encore – et ce n'est d'ailleurs pas le but affiché par les acteurs – à la remise en cause des coopératives, «ces réseaux sociaux à l'ancienne», mais les initiatives se multiplient. Citons comme exemple un site en plein essor, fermesdavenir.org, lancé il y a quelques mois et destiné à venir en aide à des exploitants bio ou éco-responsables.

Un autre axe de développement se trouve dans l'émergence de plateformes collaboratives et solidaires pour le financement, le fameux crowfunding. Des sites qui permettent de «sauter» la case banque. BlueBees, initiative française de financement, a levé 1,5 million d'euros depuis son lancement en 2014 pour financer 75 projets d'agriculture d'avenir.

Là encore, relèvent Heico Koch et Camile Richer, cette utilisation des réseaux sociaux reste peu répandue. Principalement à cause du manque de circulation de l'information. Une situation transitoire.

Initiatives locales

Le basculement de l'agriculture luxembourgeoise dans le monde de la digitalisation reste encore balbutiant. Quelques GPS, drones ou robots agricoles sont recensés, mais pas encore de lame de fond. Pour autant, on n'est pas l'arme au pied. La prise de conscience a eu lieu.

Marc Weyland, responsable du développement végétal à l'Administration des services techniques de l'agriculture l'affirme: ce sera le standard à l'avenir. Mais cela pourra prendre du temps, notamment parce que les parcelles restent de taille modeste, ce qui freine la rentabilisation. En attendant, l'automatisation est déjà présente. Notamment dans les étables avec les robots de traite. Des robots que l'on projette de rendre plus intelligents et qui prendront en compte l'état des pâturages.

La recherche sur le sujet se développe également. Le LIST travaille sur le projet «Sentinel», un système de prévision des maladies et des ravageurs en fonction du climat. Un autre projet, privé cette fois, vise, via l'utilisation de drones, à détecter les mauvaises herbes dans le colza.

Sur internet, il faut signaler l'existence de la plateforme trademachines.com, un moteur de recherche pour machines d'occasion (http://trademachines.com). L'initiative vient d'Allemagne et d'un constat posé par le fondateur du site et CEO, Heico Koch: l'émergence de nouvelles technologies dans l'agriculture au cours de ces dix dernières années va entraîner une accélération dans le rythme de renouvellement des machines. En laissant en suspens la question du devenir des machines «obsolètes». Internet lui est apparu incontournable comme place de marché «globale» où ces matériels peuvent s'échanger.

A l'origine basé en Allemagne, le site est désormais présent en France, en Italie, en Russie. Et au Luxembourg. Où sa présence est moins due au potentiel du marché qu'à la volonté d'être visible au sein d'une place connue pour abriter de nombreux sièges européens de grandes entreprises, ainsi que pour sa Place financière et sa recherche de qualité. Heico Koch envisage même un partenariat avec l'Uni dans le domaine du Big Data.
 

Marc Fassone

 

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