Le LIST au service de l'économie nationale

En 2015, le Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST), installé dans la Maison de l'Innovation, à deux pas des hauts fourneaux, a été officiellement créé par fusion des deux centres de recherche publics Gabriel Lippmann et Henri Tudor. Nous nous sommes entretenus avec le CEO a.i. Fernand Reinig sur l'évolution du centre de recherche ces deux dernières années, ses missions et ses projets passionnants. 

Source : Belval magazine
Date de publication : 04/10/2017

En 2015, le CRP Gabriel Lippmann et le CRP Henri Tudor ont fusionné. Quels étaient les objectifs de cette opération et comment s'est-elle déroulée? 

L'idée de la fusion des deux CRP remonte à 2012. A la base fut le constat que les deux centres Lippmann et Tudor avaient chacun trois départements orientés sur les mêmes thèmes: Environnement, Matériaux et IT. Même s'ils travaillaient chacun sur des sujets différents, bien que complémentaires d'une certaine manière, il était difficile d'en expliquer les différences au grand public et aux responsables politiques. Un objectif de la fusion était d'élargir la visibilité de la recherche qui se fait au Luxembourg. Il faut savoir que la recherche est un secteur très compétitif à un niveau international, en Europe, aux Etats-Unis, en Asie, et que le Luxembourg, de par sa petite taille, n'était pas prédisposé à jouer un rôle important à ce niveau. La recherche au Luxembourg n'avait pas la masse critique et l'idée était de créer un centre plus important qui pourrait être un partenaire pour des institutions comparables à l'étranger. Il fallait donc joindre les forces dont nous disposions. L'idée fut accueillie positivement au niveau politique et après trois ans, la loi du 3 décembre 2014 donnant naissance aux centres de recherche LIST (Luxembourg Institute of Science and Technology), LISER (Luxembourg Institute of Socio-Economic Research) et LIH (Luxembourg Institute of Health) fut votée. 

La date officielle de création du LIST est le 1er janvier 2015. L'institut est le résultat d'une fusion mais, comme je viens de le dire, le but n'était pas, comme c'est souvent le cas lors d'une fusion d'entreprises, de réduire les effectifs ni les coûts, nous n'avions pas de problèmes budgétaires. Le statut d'établissement public est resté le même, mais malgré tout c'était une opération difficile. Les employés des deux centres se retrouvaient avec des nouveaux collègues, une structure différente, une direction nouvelle. Ce n'est pas évident, cela implique des changements et un certain nombre de personnes nous ont quittés. Depuis le deuxième semestre 2016 nous avons réussi à stabiliser la situation, nous avons fait beaucoup d'efforts, avec et pour le personnel, nous avons entre autres mené une enquête de bien-être au travail pour améliorer les points qui ont été critiqués. Entretemps, les effectifs sont en train de croître de nouveau et l'ambiance générale est assez bonne. En janvier 2017 nous avons signé le premier accord collectif de travail avec les syndicats créant un cadre de rémunération spécifique pour le LIST à des conditions intéressantes. 

Comment évaluez-vous les effets de la fusion au niveau administratif, au niveau de la recherche? 

Les trois départements Environnement, Matériaux et IT sont devenus plus grands par la fusion et représentent maintenant des masses critiques intéressantes avec des effectifs de 120 à 150 personnes. Les administrations ont été regroupées, il a fallu réinventer des procédures, mais maintenant je pense que nous sommes bien établis. 

Quels sont les objectifs du LIST? 

Le LIST est un RTO - Research and Technology Organisation. RTO est un terme consacré pour ces entités de recherche, souvent publiques, très différentes de l'Université. Cette dernière est en règle générale affectée à la formation, à l'enseignement jusqu'au 3e cycle de doctorat, et à la recherche fondamentale. Un des problèmes en Europe est que nous avons une recherche fondamentale très poussée mais que nous avons plus de difficulté à transformer la recherche en monnaie, c'est-à-dire de faire en sorte que les entreprises puissent utiliser ces connaissances. Entre la recherche et les besoins des entreprises il y a un trou, un « gap », que nous appelons aussi « valley of death ». Les RTO comme le LIST remplissent cette lacune et cherchent à transformer les connaissances fondamentales en technologies qui peuvent servir aux entreprises à travers des nouveaux produits ou des nouveaux services. Ils constituent donc un lien essentiel entre la recherche fondamentale à l'Université et l'application commerciale. 

Ceci nécessite d'un côté une bonne compréhension du monde industriel et des besoins des entreprises, et de l'autre côté des capacités de traduire des connaissances scientifiques en produits utilisables mais aussi en brevets pour protéger les résultats de la recherche. Ainsi nous contribuons à développer l'économie au Luxembourg à travers la diversification, des nouveaux concepts tels que l'étude «Rifkin», «l'industrie 4.0», les «smart cities, smart space, smart finance», afin de créer un environnement plus compétitif mais aussi un cadre de vie plus agréable, fiable, respectueux de l'environnement. 

Pourriez-vous évoquer quelques projets concrets? 

Nous travaillons sur de nombreux projets dont j'en citerai quelques-uns susceptibles d'intéresser plus particulièrement vos lecteurs et lectrices. 

Smart space 

On peut évoquer par exemple les projets dans le cadre du concept « smart space », un domaine qui intéresse particulièrement le Luxembourg dans sa stratégie de positionnement autour de tout ce qui touche à l'espace. Ainsi le LIST y participe d'un côté avec le développement de nouveaux matériaux utilisables pour les fusées et les satellites, et ce en coopération avec la société de satellites SES. De l'autre côté avec différents partenaires comme l'agence spatiale européenne ESA ou encore la société de satellites SES nous développons des applications pour l'utilisation des satellites, par exemple dans le domaine de l'observation de la terre et des changements climatiques. Ces applications permettent de surveiller des zones d'inondations et de suivre leur évolution, voire de développer des modèles de simulation. Une autre application dans le domaine agricole permet de suivre l'évolution des cultures, par exemple la présence de ravageurs, et de développer des programmes pour y remédier. Aussi la société SES est-elle intéressée à diversifier son offre actuellement orientée sur les télévisions, et trouver d'autres valeurs ajoutées. Dans cette logique, plusieurs de nos départements travaillent ensemble pour alimenter le secteur « space ». 

Matériaux innovants 

Un autre projet dans le domaine des matériaux est en cours, ensemble avec Carlex, un fabricant de pare-brises, une usine d'un grand groupe japonais localisée à Grevenmacher. Vous savez que les pare-brises ne se composent pas uniquement de verre, mais contiennent d'autres éléments pour remplir un certain nombre de fonctions. En insérant des fils électriques on arrive à dégivrer les vitres et ainsi on peut développer d'autres techniques permettant le dégivrage automatique des vitres en hiver ou évitant la surchauffe en été en laissant pénétrer moins de rayons chauffants. Bien d'autres applications sont possibles dans ce domaine et nous développons des nouvelles techniques dans le projet avec Carlex permettant de produire des nouvelles générations de pare-brises, de créer ainsi un élément de distinction par rapport à d'autres producteurs et d'augmenter la compétitivité, ce qui finalement est un de nos principaux buts. 

Environnement 

Dans le domaine de l'environnement nous avons un projet dans le secteur de l'agroalimentaire avec PM-International, un groupe spécialisé dans la production de compléments alimentaires. Nous savons que dans les fruits et légumes se trouvent des substances bénéfiques pour notre santé, voire même des substances susceptibles de protéger contre certaines maladies. Le but est d'extraire ces substances actives pour ensuite les commercialiser sous forme de pilules, plus facilement consommables. Il s'agit d'un énorme marché en pleine évolution. Les plantes peuvent servir aussi à d'autres choses, par exemple dans le domaine de la construction. Nous cherchons à développer des matériaux plus respectueux de l'environnement, avec des cycles de vie durables, non polluants, et surtout à base de plantes. Nous travaillons sur la conception de briques avec du chanvre ou d'autres éléments comme la lignine ou la cellulose. Dans l'esprit de l'économie circulaire, le recyclage de ce genre de briques est beaucoup plus facile que celui des briques en béton. Nous savons que les déchets de la construction posent de plus en plus de problèmes, les dépôts se multiplient. Nous développons donc un projet avec une entreprise de construction au Luxembourg dans ce domaine. 

Big data 

Dans le domaine des IT nous sommes confrontés au phénomène des « big data », quantités énormes de données qui doivent être gérées. De plus en plus d'objets sont dotés de capteurs et sont connectés. Notre smartphone par exemple est doté de capteurs qui permettent de détecter si nous sommes en mouvement ou non, si nos déplacements sont plus ou moins lents. Des rubans mesurent notre tension cardiaque et peuvent nous assister dans la surveillance de nos activités sportives. Des capteurs sur notre frigo peuvent nous envoyer des messages nous rappelant d'acheter du lait au supermarché et ainsi de suite. Avec tous ces capteurs sont générées d'énormes quantités de données. Pour les commerces, la collecte de données sur leurs clients est extrêmement importante. Connaître leur comportement - savoir pourquoi ils achètent et à quel moment, qui paye au restaurant -, sont des éléments clés pour orienter leur publicité. Avec toutes les cartes bancaires que nous avons, les banques disposent de nombreuses données sur nous et nos comportements d'achats, de voyages, de moyens de transports, etc. La connaissance de toutes ces données permet d'optimiser non seulement les stratégies de commercialisation mais aussi de surveiller des mouvements suspects. Ainsi l'utilisation de ces big data peut par exemple servir à observer des mouvements en banque sur des comptes suspects de blanchiment d'argent. Nous mettons en place actuellement une équipe autour d'un professeur de Singapour travaillant sur deux grands axes d'application dans le cadre de «Industrie 4.0» pour optimiser la réalisation d'un produit. Un concessionnaire a par exemple un intérêt à connaître l'état de production des voitures commandées. 

D'autres applications se situent dans le secteur financier, un des piliers de l'économie luxembourgeoise, dans le champs des grandes banques, des fonds d'investissement, etc. 

Vous travaillez aussi sur un projet de BIM...

Dans le domaine du Building Information Modeling (BIM), un nouveau secteur dans le domaine de la construction, nous mettons sur pied un petit groupe de recherche et faisons venir des professeurs de l'étranger. Le BIM va révolutionner la construction de bâtiments. La planification et la coordination des corps de métiers peuvent devenir plus efficaces, le suivi des chantiers, des solutions intégrées par ordinateur pourront assister les hommes. C'est un secteur dans lequel nous travaillons, un peu moins au Luxembourg, mais nous avons une coopération avec un des géants de la construction en France. 

Quels sont vos outils et stratégies pour sensibiliser et stimuler les jeunes? 

Quand nous recrutons des chercheurs nous constatons que de moins en moins de jeunes s'intéressent aux études des sciences naturelles, de physique, de chimie, d'électronique, d'informatique, pas seulement au Luxembourg mais de manière générale en Europe. Nous devons recruter dans des régions plus lointaines, dans les pays de l'Est de l'Europe, mais aussi en Asie, en Inde et en Chine, en Corée, etc. Pour remédier quelque peu à cela, le LIST s'engage dans la sensibilisation du grand public et des jeunes, notamment des élèves de lycées. Nous n'offrons pas de formations avec diplômes mais nous informons le public sur les recherches passionnantes que nous effectuons et les produits qui en résultent. Nous disposons ici, dans la Maison de l'Innovation, d'un showroom où nous présentons une série d'applications concrètes que nous avons développées et où nous accueillons des groupes pour en faire les démonstrations. On peut y voir par exemple les briques de chanvre et un outil qui s'appelle « wikifood». Une fois programmé, cet outil permet à des personnes qui sont allergiques de détecter rapidement les produits auxquels elles doivent renoncer. En scannant le code d'un produit au supermarché, la personne reçoit tout de suite l'information si le produit contient ou non le ou les allergènes en question. Cette application sert à faciliter la vie aux personnes allergiques en les aidant dans leurs achats. 

Nous participons aussi aux journées portes ouvertes où les familles peuvent venir avec leurs enfants. Nous offrons des jeux, nous montrons de façon pédagogique ce que nous faisons, nous participons au Science Festival, nous avons d'ailleurs également accueilli un public nombreux et intéressé lors de la Fête des Hauts Fourneaux. Souvent des classes qui viennent au Scienteens Lab du LCSB passent aussi chez nous. Il y a encore l'initiative «Chercheurs à l'Ecole» du Fonds National de la Recherche, c'est-à-dire des rencontres de chercheurs avec les élèves, qui est très importante. En général nous constatons qu'il y a un paradoxe assez frappant qui réside dans le fait que les jeunes profitent de plus en plus des nouvelles technologies en utilisant leurs smartphones avec leurs maintes applications, l'internet, mais ne s'intéressent pas aux sciences. Notre mission est de susciter cet intérêt. 

La construction de la Cité des Sciences à Belval avait e.a. pour objectif de stimuler les synergies entre les différents acteurs de la recherche scientifique. Quels sont vos partenaires sur le site? 

A côté de notre mission de donner un support à l'industrie et autres acteurs économiques, nous avons aussi une mission de support aux ministères et administrations dans l'exécution de certaines missions. Ici, sur le site, nous travaillons en étroite collaboration avec l'Administration de la Gestion de l'Eau. Nous développons des méthodologies qui peuvent aider les administrations dans la gestion de leurs tâches, comme par exemple la surveillance de la qualité des eaux. Nous travaillons également sur un grand projet avec le Ministère du Développement durable et des Infrastructures dans le domaine de l'environnement. 

Un autre partenaire dans le domaine des big data est la Commission Nationale pour la Protection des Données (CNPD). Un créneau qui nous intéresse plus particulièrement est le côté réglementaire dans le domaine des finances. Ici il y a des règlementations de plus en plus strictes qui s'imposent. Le Luxembourg doit se positionner comme place financière fiable, loin de toute activité douteuse et nous développons des outils innovants en la matière. Nous assistons dans ses missions la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF) qui est un organe de contrôle très important. Notre collaboration avec la CNPD vise aussi à vérifier simplement si les entités soumises respectent les règlements et la législation. 

Ensuite il y a l'Université qui fait des recherches complémentaires aux nôtres, une coopération très étroite est de rigueur. Ensemble avec le Fonds National de la Recherche (FNR) et l'Université nous développons conjointement le modèle des écoles doctorales. Les chercheurs du LIST contribuent dans les domaines IT et Matériaux. Nous avons des laboratoires communs et nous avons prévu de renforcer la coopération lorsque nous aurons à disposition le nouveau bâtiment laboratoires, en construction par le Fonds Belval. Nous travaillons par ailleurs avec les autres centres de recherche sur le site, notamment le LISER et le LSCB, au niveau des big data. La proximité géographique est très importante et nous facilite les rencontres et les échanges. 

En tant que directeur du CRP Gabriel Lippmann vous avez suivi de près tout le développement de la friche de Belval ... 

A Pâques 2005 le nouveau bâtiment du CRP Lippmann a ouvert ses portes sur le territoire de Belvaux, la Dexia n'était pas encore complètement achevée, ni la Rockhal. Nous nous sommes retrouvés sur un vrai terrain vague. Un certain nombre de nos employés sont là depuis le début et ont pu observer le développement du site qui a fondamentalement changé depuis. C'est un très beau projet, l'idée de regrouper plusieurs grands acteurs de la recherche sur un site est une excellente idée et l'investissement de l'Etat est très important. Un petit regret consiste dans le fait que la construction des bâtiments ne suit pas vraiment le développement très dynamique de l'Université et des centres de recherche. Il est vrai que des nouvelles constructions nécessitent du temps, pour les bâtiments publics il faut faire des projets de loi, attendre le vote de la loi et faire des soumissions, etc. Peut-être les nouvelles technologies de BIM aideront à l'avenir à faire avancer plus rapidement les chantiers. En général nous sommes très contents, le site offre de nombreuses opportunités, il y a une bonne offre de restaurants, d'activités culturelles et sociales, tout cela est très bien.

 

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