Les bactéries font le ménage

Les chercheurs du List ont analysé l'impact des résidus chimiques, notamment pharmaceutiques, sur nos sources d'eau potable.

Source : Le Jeudi
Date de publication : 28/05/2015

 

L'eau n'est pas toujours propre bien que nous disposions d'outils de plus en plus performants pour éliminer les polluants ou autres résidus indésirables. Dans des temps plus reculés, lorsque les sciences n'en étaient qu'à leur début balbutiant et maladroit, les hommes, forcés d'être plus pragmatiques, préféraient étancher leur soif avec une bière, un verre de vin, une eau-de-vie. Car l'expérience leur a montré que l'alcool est un désinfectant naturel et, par conséquent, plus propre que l'eau du puits.

Aujourd'hui, nous savons, toujours grâce à la science, que les boissons alcoolisées présentent des effets secondaires tout aussi nocifs et qu'il vaut mieux ne pas en abuser. Evidemment, cela ne facilite rien. Surtout pour les chercheurs travaillant à rendre son innocence à ce geste consistant à porter un verre d'eau fraîche du robinet à la bouche.

Une partie de l'impureté de nos sources et cours d'eau est due aux très nombreux résidus chimiques, tels que les résidus pharmaceutiques. Nous avons tendance, lorsqu'une douleur se manifeste, à ouvrir mécaniquement notre petite armoire à pharmacie où, bien souvent, se trouve le remède en forme de crème, de sirop, de gélule ou de comprimé. Or, le corps ne décompose pas tout et ainsi les molécules salvatrices se retrouvent dans le circuit des eaux usées une fois la chasse tirée.

Elles poursuivent leur périple avant d'arriver dans les bassins d'une station d'épuration où des bactéries et des filtres sont censés les capter. Mais, là encore, ce n'est pas évident. Un filtre ne retient pas tout et les bactéries, tout comme le corps humain, ne parviennent pas à décomposer ces substances jusqu'à ce qu'il ne reste plus que du dioxyde de carbone et d'autres molécules non nocives.

Des projets européens ont d'ailleurs eu lieu au Luxembourg. L'ancien CRP Henri Tudor y avait participé. Il s'agissait de voir de quelle manière les médicaments en provenance d'hôpitaux et de maisons de retraite parvenaient dans les eaux usées. Dans d'autres pays, des études avaient aussi été menées sur les habitudes des ménages.

Les eaux usées des hôpitaux constituent un terrain de recherche de prédilection pour analyser le comportement des résidus pharmaceutiques. Il se trouve, explique en substance le docteur Kai Klepiszewski, chercheur senior au List (Luxembourg Institut for Science and Technology), que certaines substances résistent davantage au traitement habituel d'épuration qui consiste en la décomposition des molécules par des bactéries présentes dans les bassins des stations d'épuration.

Parmi ces éléments plus résistants, l'on trouve le diclofénac, un anti-inflammatoire, la carbamazépine, un antiépileptique, ou encore des substances endocrines qui agissent sur les hormones, comme la pilule contraceptive par exemple.

«Ces produits peuvent avoir des effets éco-toxicologiques, mais les quantités présentes dans les eaux usées se quantifient le plus souvent en nanogrammes. Bref, il faudrait ingurgiter des quantités énormes d'eau pour qu'il y ait véritablement un effet nocif», rassure toutefois le chercheur. De plus, les médicaments très fréquents, comme le paracétamol, ne résistent pas aux attaques bactériennes. Mais des impacts sur les écosystèmes aquatiques sont observés et les effets combinés des pollutions chimiques dans l'environnement et la nourriture affectent également l'homme.

Efficace et peu coûteux

Pour réduire ces résidus, différents procédés existent tels que l'adsorption sur le charbon actif ou encore la décomposition grâce à l'ozone. Mais ces techniques présentent aussi des désavantages. Les
filtres au carbone actif sont ainsi très coûteux car leur nettoyage nécessite une grande consommation d'énergie et ils doivent être régénérés périodiquement.

En ce qui concerne l'ozone, il est difficile d'en comprendre l'impact comme les substances primaires sont cassées en substances dérivées qui peuvent elles aussi avoir des effets, parfois même plus nocifs. En effet, les analyses des eaux usées relèvent un peu du casse-tête vu le nombre impressionnant de substances qui s'y trouvent: «Vous ne trouvez que ce que vous cherchez dans l'eau. Une analyse complète, d'un point de vue analytique, est presque impossible.» Au List, on s'est rendu compte que le résultat obtenu pour la dégradation biologique varie toujours en fonction des stations d'épuration.

D'après les scientifiques, ce phénomène est à attribuer au travail des bactéries. Leur thèse: ces petits êtres s'adaptent à leur environnement et développent des capacités spécifiques en fonction de leur
habitat. D'où l'idée d'entraîner les bactéries à la décomposition des résidus pharmaceutiques. Le problème, dans les bassins d'épuration, c'est que les bactéries n'ont pas suffisamment de temps pour s'ajuster aux substances.

On cherche donc à mettre en place des systèmes permettant de les garder plus longtemps dans les eaux usées.

Elles peuvent être fixées sur des supports en plastique qui sont ensuite déposés dans le bassin ou bien directement être cultivées sur le charbon actif, combinant dégradation biologique et adsorption. Ces techniques pourraient, alliées à un système de filtrage si les recherches aboutissent, permettre un système efficace et peu coûteux. Les résultats concluants des études sont présentés les 27 et 28 mai lors de la conférence de clôture du projet NoPills à Bruxelles (http://www.no-pills.eu, projet cofinancé par le programme Interreg IVB-Europe du Nord-Ouest).

MAURICE MAGAR

 

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