Les pressions humaines sur la biodiversité sont multiples

À quelques instants de la fin de la COP27 sur le climat, le biologiste du LIST Nicolas Titeux souligne la nécessité de lier les solutions contre le changement climatique, à celles contre le déclin de la biodiversité.

Source : wort.lu
Date de publication : 18/11/2022

 

Dirigeants politiques, chercheurs, ONG, militants pour le climat... En l'espace de deux semaines, de nombreux acteurs se sont exprimés à Charm El-Cheikh (Egypte), où se tient la 27e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP27). Alors que ces derniers sont intimement liés au déclin de la biodiversité, celle-ci fera l'objet d'une conférence séparée, la COP15, qui se tiendra à partir du 9 décembre au Canada.

Au sein même de la COP27, la biodiversité a tout de même eu droit à sa journée, qui s'est tenue le 16 novembre. «Les agendas de ces deux conférences sont très séparés, même si on se rend compte qu'une importance croissante est donnée à la biodiversité lors des COP sur le climat», estime Nicolas Titeux, responsable de l'Observatoire du Climat, de l'Environnement, et de la Biodiversité du Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST).

Pour le biologiste, il est cependant nécessaire d'aller plus loin. En synchronisant les agendas des deux COP, d'abord, avant de se diriger vers un agenda commun. «Il est primordial de trouver des solutions pour lutter contre ces deux grands problèmes que sont le déclin de la biodiversité et le changement climatique. Mais ces solutions doivent être liées», poursuit le chercheur.

Une étude internationale

En réfléchissant à des politiques visant à lutter conjointement contre ces deux problèmes, il devient possible d'éviter qu'une solution ait des répercussions négatives sur l'un ou sur l'autre. «Par exemple, les biocarburants ont été créés pour lutter contre le changement climatique, mais ils affectent la biodiversité puisqu'ils peuvent engendrer un phénomène de déforestation sur d'immenses superficies», illustre le biologiste.

L'importance de cette approche globale a récemment été soulignée par une étude scientifique à laquelle a participé Nicolas Titeux. Publiés le 9 novembre dernier dans la revue Science Advances, les résultats de cette méta-analyse de 45.000 études scientifiques mettent en évidence les différents facteurs responsables de la perte de biodiversité. Et, aussi étonnant que cela puisse paraître pour le grand public, le réchauffement climatique n'est pas le suspect n°1 dans cette affaire.

«Bien sûr, le changement climatique est un facteur très de plus en plus important de la perte de biodiversité, mais ce n'est pas le seul, et ce n'est pas le plus important à l'heure actuelle», indique le chercheur. Ainsi, la crise climatique est supplantée par les changements d'occupation et d'utilisation des sols (un facteur qui englobe notamment la déforestation, l'artificialisation, ou encore le changement de pratiques agricoles), et l'exploitation directe des ressources naturelles, comme la chasse, la pêche ou le commerce des espèces sauvages. 

«À l'échelle mondiale, la pollution et le changement climatique arrivent seulement après. C'est pour cela que le fait de résoudre les problèmes liés au réchauffement climatique uniquement n'est pas une bonne solution, car c'est s'attaquer à un seul facteur. Il est nécessaire d'être plus ambitieux que ça», poursuit Nicolas Titeux. Si ce travail de recherche n'est pas le premier à s'intéresser aux différentes causes du déclin de la biodiversité, il s'agit d'une synthèse plus complète et statistiquement plus robuste que les précédentes études.

Rester optimiste

Dans cette méta-analyse, les chercheurs se sont intéressés aux différentes dimensions de la biodiversité dans trois milieux: terrestre, eau douce et marin. À noter que ce projet de recherche se fonde sur le rapport d'évaluation mondial de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), dont Nicolas Titeux a pris part en 2019. Équivalente au GIEC, cette plateforme internationale, qui rassemble des chercheurs nommés par les États qui en sont membres, a estimé, dans ce document, à un million le nombre d'espèces animales et végétales étant menacées d'extinction.

Trois ans plus tard, ce déclin de la biodiversité est-il toujours évitable? Selon le responsable de l'Observatoire du Climat, de l'Environnement, et de la Biodiversité, il est nécessaire de rester optimiste. «Oui, des espèces s'éteignent, et pour elles, c'est trop tard et irréversible. Mais globalement, réatteindre un état d'équilibre entre le développement de la société humaine et le respect des processus naturels est possible grâce à un changement radical de notre mode de  production et de consommation en terme alimentaire, de matériaux et d'énergie. C'est à ça qu'il faut s'attaquer.»

À l'heure actuelle, les politiques climatiques sont ambitieuses, mais ne sont pas assez contraignantes, estime Nicolas Titeux. «Il faut par ailleurs aller un cran plus loin en termes d'intégration des politiques de préservation de la biodiversité avec celles de lutte contre le changement climatique. Cette évolution vers un agenda commun est en cours, et elle doit venir à l'échelle mondiale. J'aimerais voir les chefs d'États venir à la COP15 sur la biodiversité plutôt que de se rendre à la Coupe du monde de football.»

Loin de bénéficier de la même portée politique et médiatique que la COP sur le climat, celle dédiée à la biodiversité fait tout de même l'objet d'un intérêt grandissant selon le biologiste. «Les gens sont de plus en plus conscients que tout est lié. Sans doute pas assez rapidement, mais ça va dans la bonne direction.»

Au-delà des décisions politiques, le responsable de l'Observatoire du Climat, de l'Environnement, et de la Biodiversité souligne l'importance du financement structurel durable des programmes de surveillance de biodiversité. Au Luxembourg, ces derniers sont soutenus financièrement par le ministère de l'Environnement, du Climat et du Développement Durable, et ils concernent notamment les espèces protégées par les directives européennes, les oiseaux, les papillons de jour ou encore les pollinisateurs sauvages. «Ces programmes courent sur le long terme et ne correspondent pas à des projets de recherche classique. Ils sont l'information de base pour évaluer les tendances de la biodiversité au cours du temps, permettent de fixer des objectifs de préservation de nos écosystèmes, et d'évaluer si ces objectifs sont atteints.»

Laura BANNIER

www.wort.lu/fr/luxembourg/les-pressions-humaines-sur-la-biodiversite-sont-multiples-6377708dde135b9236f2d01f

 

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