Le président du Fonds national de la recherche, conscient des limites des moyens financiers, souhaite que la qualité compense la quantité. À ses yeux, il est indispensable que le monde de la recherche publique et les milieux économiques s’ouvrent les uns aux autres et interagissent toujours davantage. «Il faut qu’il y ait, au niveau de l’Université et des centres de recherche publics, une plus grande ouverture vers l’économie.»
Source : PaperJam
Date de publication : 01/04/2015
Monsieur Elsen, comment le Fonds national de la recherche se positionne-t-il dans le nouveau paysage issu de la création récente des nouveaux centres de recherche (le List, fusion des CRP Tudor et Lippmann; le LIH, issu du rapprochement du CRP Santé et de l’IBBL; le Liser, nouvelle appellation du Ceps/Instead) et du changement de recteur à la tête de l’Université?
«D’une manière générale, le cadre juridique a été amélioré, et cela vaut aussi pour le FNR avec la loi du 27 août 2014, entrée en vigueur le 1er novembre 2014 et qui a notamment amené un nouveau conseil d’administration et élargi les possibilités de financement. Nous sommes, dans ce nouveau contexte, mieux armés pour répondre aux nouveaux défis.
Cette fusion des centres de recherche publics était-elle devenue indispensable?
«Oui, même si, au Luxembourg, il est parfois difficile de comprendre qu’il faille reconfigurer des choses créées qui fonctionnent bien. Ces fusions étaient nécessaires, car elles permettent de disposer d’une meilleure masse critique et de regrouper des domaines d’activités qui allaient naturellement ensemble. Cela permet également d’envisager un portefeuille de projets plus large dans une optique de valorisation.
Ces fusions sont également à inscrire dans la création et l’activation du site de Belval. Le fait que tout le monde puisse, d’ici à la fin de l’année, se retrouver sur un même site va donner une nouvelle dynamique et permettre des synergies non négligeables. Parfois, des contacts humains à la cafétéria ou à la cantine peuvent déclencher le développement de grandes choses! Je vois ça d’un œil très optimiste…
Quelles sont vos priorités de développement dans ce nouveau cadre général?
«Sachant que les finances publiques ne sont plus ce qu’elles étaient, il s’agit de faire toujours plus avec moins d’argent. La politique du FNR est, plus que jamais, de miser sur l’excellence de la qualité. On ne peut pas tout faire, mais il faut faire bien.
Ensuite, il ne s’agit pas de faire de l’art pour l’art, mais d’envisager une approche davantage orientée sur la valorisation des résultats de recherche. Cela passe notamment pas des rapprochements toujours plus étroits entre le monde économique, les entreprises et les industries d’un côté, et le monde académique de l’autre. Dès 2013, nous avons lancé le régime d’aides à la formation recherche sur la base de partenariats publics-privés pour que les doctorants puissent travailler plus facilement aussi bien dans les centres de recherche ou les entreprises.
Nous avons également lancé, en novembre dernier, le programme Proof of Concept, qui permet de financer, sur une période de 18 mois, la phase de fin d’études scientifiques d’un projet pour l’amener sur le marché et, ainsi, s’assurer de la valorisation des brevets et faciliter la commercialisation des innovations. Le Luxembourg a besoin de telles initiatives pour redynamiser la diversification de son économie.
Je n’oublie pas, enfin, les besoins de promotion de la recherche, notamment auprès des jeunes. Des initiatives telles que Mister Science, le site grand public science.lu, la campagne Chercheurs à l’école, le Science Festival ou encore la Researchers’ Night sont autant d’occasions pour montrer au grand public qu’il y a des opportunités pour les jeunes, alors que beaucoup d’entre eux se posent encore la question de savoir quel métier faire plus tard.
Comment est-il possible d’agir sur le levier de la valorisation des résultats de recherche?
«Nous nous appuyons, déjà, sur la qualité des programmes portés par des professeurs de renommée internationale. Mais il s’agit de réfléchir à cet aspect bien en amont, au moment de la définition même du projet. Il est important d’avoir déjà, à ce moment-là, la vision de là où on veut arriver. Ainsi, sur les nouveaux appels d’offres qui seront lancés, les candidats, lorsqu’ils soumettront une proposition, devront déjà inclure cette notion de valorisation dans leur projet.
Il faut aussi, comme l’a rappelé le nouveau recteur Rainer Klump lors de la Journée de l’ingénieur, fin janvier, qu’il y ait, au niveau de l’Université et des centres de recherche publics, une plus grande ouverture vers l’économie. Cette thématique de la valorisation et du renforcement des interactions entre acteurs privés et publics fait également partie des travaux du Haut Comité pour l’industrie. Au sein du groupe RDI que je préside, il faut que les gens parlent davantage entre eux, prennent conscience de ce qui existe et échangent toujours plus. Ce n’est que comme ça qu’il sera possible d’amorcer un flux de nouvelles idées, de nouveaux réflexes, de coopérations étendues.
Je citerai, enfin, le lancement récent du Mind & Market Luxembourg, qui va aussi dans cette direction. Les premiers échos que nous en avons reçus sont très positifs. Le concept a déjà fait ses preuves en Wallonie et nous estimons que d’ici deux ou trois ans, nous obtiendrons ici des résultats similaires.
D’une manière générale, la conscience exige qu’il est indispensable d’aller dans cette direction. Cela passera aussi par des changements de mentalité. On ne répétera jamais assez combien il est indispensable que le monde de la recherche publique et les milieux économiques s’ouvrent les uns aux autres et interagissent.
C’est ce qui fait aussi la raison d’être du renouvellement, en septembre dernier, de la convention signée avec Luxinnovation pour la période 2014-2017?
«Nous avons en effet confirmé le bien-fondé de la démarche engagée il y a trois ans, qui est celle de s’appuyer sur un partenaire privé tel que Luxinnovation pour accompagner et stimuler la RDI au Luxembourg, par le biais d’instruments de soutien disponibles pour les uns et les autres.
Qu’en est-il des coopérations et des échanges avec le monde de la recherche hors du Luxembourg?
«Nous travaillons continuellement sur la mise en place d’accords bilatéraux, ce qui peut donner accès aux réseaux internationaux à différents acteurs de la recherche, publics et privés. Nous avons ainsi des accords de coopération avec des institutions sœurs et cousines dans les pays d’expression germanique, avec le Centre national de la recherche scientifique et l’Agence nationale pour la recherche en France et des accords similaires sont en cours de concrétisation avec la Belgique. Je peux aussi citer des partenariats avec le Research Council en Angleterre ou la National Science Foundation aux États-Unis. Luxembourg n’est pas une île. Nous devons être connectés dans le monde. L’Asie fait par exemple partie des priorités pour les années à venir.
Au-delà de ces partenariats, il y a aussi un contexte de concurrence internationale intensif. Comment le Luxembourg s’y positionne-t-il?
«Les talents sont rares. Les bons talents sont encore plus rares, mais nous n’avons pas à avoir de complexe d’infériorité ici. Nous disposons des programmes Attract et Pearl qui nous ont permis de faire venir au Luxembourg des pointures telles que, tout récemment, Paulo Veríssimo au Centre interdisciplinaire pour la sécurité, la fiabilité et la confiance (SnT); Rejko Krüger au Luxembourg Centre for Systems Biomedicine; le sociologue de renommée mondiale Louis Chauvel; Jens Kreisel au List (via le CRP Gabriel Lippmann, ndlr) ou encore Lionel Briand, aujourd’hui vice-directeur du SnT.
À partir du moment où l’environnement est bon et les projets de qualité, les talents sont prêts à venir. Et les talents attirent les talents: les chercheurs ont envie de travailler avec ces grands professeurs.
D’autant plus que le Luxembourg, de par son positionnement géographique au milieu des deux grands bassins linguistiques européens germanique et francophone, permet à un chercheur allemand ou français de rester, ici, très proche de sa culture.
Nous sommes également en discussions avec l’Université pour la redéfinition de l’orientation de ses programmes masters, afin de pouvoir s’assurer de conserver encore pour quelques années supplémentaires les meilleurs doctorants.
Quels sont les domaines de recherche qu’il convient de privilégier?
«Les technologies de l’information apparaissent comme le plus évident. Il s’agit d’un secteur économique très fort qui demande de l’innovation, au bénéfice de l’ensemble de l’économie, à commencer par le secteur financier. La success story d’une structure telle que le Centre interdisciplinaire pour la sécurité, la fiabilité et la confiance (SnT) de l’Université du Luxembourg en est une des preuves fortes.
Mais à côté de cela, il y a de nombreux autres domaines importants: les matériaux, par exemple, qui ont été identifiés, il y a longtemps déjà, comme un des cinq domaines clés pour l’avenir de la recherche luxembourgeoise; certaines sciences de la médecine; les biotechnologies; la construction, avec une vision pérenne et durable; le droit et la finance…
Du reste, il ne faut pas négliger la recherche dans le domaine des humanités. Le Luxembourg compte parmi les 10 plus grands centres mondiaux de la finance, mais dans les 10 derniers pour ce qui est des humanités. Au travers de la Luxembourg School of Finance ou de la faculté de Droit, d’Économie et de Finance, nous devons rééquilibrer les choses.
L’enseignement, par exemple, est un domaine de recherche essentiel: savoir bien préparer les talents de demain. Nous disposons d’une forte équipe de recherche et beaucoup de choses qui ont été développées valent le coup d’être pérennisées. Le Luxembourg, dans sa configuration multiculturelle et multilingue, peut devenir un vrai laboratoire. Il faudra aussi ne pas négliger ce qu’on appelle la silver economy, liée au vieillissement de la population. Là aussi, des outils et des moyens développés autour des technologies de l’information et des communications peuvent être envisagés, mais il existe d’autres niches où le Luxembourg devrait prendre une part, sachant que ce sont des domaines qui sont, sur le plan international, bien avancés dans d’autres pays. Il ne faudrait toutefois pas les sous-estimer ici, car il s’agit d’un domaine qui concerne le bien-être du pays tout entier pour les années futures.»
Interview par Jean-Michel Gaudron