Pourquoi Invitrolize va changer nos vies

Lancée le lundi, refusant les clients le mercredi, la 10e spin-off du List, Invitrolize, née de 35 ans de recherches menées par l’Autrichien Arno Gutleb, a pris un départ canon. Ambition: prédire l’impact des produits chimiques sur notre santé, sans recourir à des tests sur des animaux.

Source : paperjam.lu
Date de publication : 17/06/2022

 

Arno Gutleb est un peu gêné. Si le CEO du Luxembourg Institute of science and technology, Thomas Kallestenius, lui avait demandé d’être présent, le mercredi 15 juin, pour la sixième édition du Tech Day, sorte de démonstration de force annuelle des 662 chercheurs du centre de recherche, il ne semble pas avoir prévenu le CEO d’Invitrolize qu’il allait annoncer sur scène la naissance de cette dizième spin-off!

Dans la grande salle qui sert de cafétéria de l’événement, à la pause, entre deux salves de conférences de haut niveau, le chercheur en passe de devenir entrepreneur récupère très vite de sa surprise de se retrouver au centre de l’attention avec un grand classique de l’entrepreneuriat: parler du projet dans lequel on met tout son enthousiasme.

Revenu d’Olso, où il était chef de projet à l’Institut national vétérinaire norvégien, pour se rapprocher du centre de l’Europe, le chercheur prend la tête du département de toxicologie du Centre de recherche public Gabriel Lippmann en avril 2008. «Quand j’ai postulé, j’ai passé mon entretien d’embauche puis je suis allé déjeuner avec celui qui est toujours mon chef aujourd’hui. Il m’a demandé de quel matériel j’avais besoin pour être dans les meilleures conditions de travail», se souvient-il. «Je lui ai dit qu’en 20 ans, je n’avais jamais utilisé d’appareils qui ne soient pas déjà dans ce bâtiment. C’est comme si le Luxembourg m’offrait une Ferrari alors que je n’avais conduit que des Golf! Des infrastructures de classe mondiale!»

«J’ai été chercheur toute ma vie depuis 1989», raconte M. Gutleb. Université de Vienne, de Waguelingue aux Pays-Bas, Université libre d’Amsterdam, Olso, professeur invité à l’Université Andrés Bello de Santiago du Chili et professeur émérite à celle de médecine et de pharmacie «Iuliu Hatieganu» de Cluj-Napoca, il se concentre sur le développement de modèles 3D complexes in vitro d’irritation, d’inflammation et de sensibilisation respiratoire de la région alvéolaire du poumon.

«Quand vous lancez des produits chimiques, vous ne savez pas vraiment s’ils vont créer un problème dans la société avant que vous les produisiez, avant que vous en fassiez de la publicité ni même avant qu’ils soient dans un supermarché», indique-t-il quand on lui demande d’expliquer simplement à quoi sert cette sorte de yaoutière derrière lui. Les modèles ont été appliqués à une large gamme de produits chimiques modèles (produits chimiques industriels, produits pharmaceutiques, produits de consommation, allergènes naturels, etc.) et, ce qui est loin d’être négligeable, s’affranchissent des tests sur des animaux et n’ont pas besoin d’organes d’humains qui seraient décédés récemment, ils sont testés sur des cellules de culture de victimes de cancers du sang des années 1980.

Trois gros clients et d’autres dans les tubes

«Nous avons travaillé très tôt avec des industriels, pour comprendre les besoins et aussi pour comprendre les normes et la réglementation à laquelle ils sont confrontés. Nous savions que c’était très bon parce que l’industrie voulait acheter notre technologie», dit-il. C’était il y a dix ans, il reconnaît ne pas avoir alors pensé à en faire une entreprise. «Non, en fait, l’idée est venue en décembre 2020. Je revenais d’une conférence et le collègue qui partage mon bureau m’a demandé si j’avais déjà rencontré Asier, le business developper du List. J’ai dit non. “Tu veux le rencontrer?”, a-t-il insisté. J’ai dit que j’étais un scientifique et pas un entrepreneur. Il m’a dit “Tu as raison, ne parle pas avec Asier [Asier Sesma, responsable de List Ventures, ndlr.]!” Je l’ai rencontré. Et quand je suis rentré chez moi, j’ai dit à ma femme que j’allais peut-être devenir entrepreneur.»

«C’est le moment où j’ai été infecté! Pas par le Covid!», lâche-t-il dans un grand éclat de rire. «Mais par la fièvre entrepreneuriale!» Aujourd’hui, à peine née, la start-up est déjà sold-out pour au moins un an. Outre Philipps Morris, elle a deux clients qui attendent sur elle, une grande ONG américaine et un groupement professionnel européen. Des discussions sérieuses sont aussi bien engagées avec le groupe allemand Evoniq et d’autres groupes pharmaceutiques ou chimiques, mais le chercheur-entrepreneur ne veut pas trop en dire encore.

Recruter et former, priorité absolue

«J’ai déjà un pipeline pour un an et je ne peux pas prendre de client supplémentaire sans avoir formé trois à quatre personnes pour travailler sur cette technologie. C’est le premier véritable challenge auquel je sois déjà confronté», sachant que l’accord avec le List Ventures prévoit une phase transitoire au cours de laquelle la jeune entreprise peut utiliser le laboratoire du List.

Bienvenue au club des start-up en recherche de talents, M. Gutleb, il y a urgence: selon l’Organisation mondiale de la santé , l’exposition aux produits chimiques a de nombreuses conséquences sur la santé, dont deux millions de morts par an et 2% à 8% des cas de cancers; «bien que la toxicité chimique ne soit pas nouvelle, c’est l’augmentation phénoménale de la production de produits chimiques et de l’extraction des ressources au cours des 100 dernières années – multipliées par 40 – qui pose désormais un risque sérieux pour l’humanité», notent des chercheurs dans des études encore beaucoup plus pessimistes .

Thierry Labro

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