Les chercheurs du List recueillent un maximum d'informations. Le papillon est un indicateur pertinent de l'environnement, mais les populations diminuent et la recherche a encore du pain sur la planche.
Source : Le Jeudi
Date de publication : 26/11/2015
Théoriquement, la flore et le climat du Luxembourg seraient propices à quelque 110 espèces de papillons. Or, en 2010, les observations faites régulièrement sur le terrain n'en recensent que 82. Ce qui veut dire que, par rapport à 2000, 4 espèces ont disparu du territoire.
Il s'agit là d'un signe très clair que l'environnement est en mutation: « Un papillon, à tous les stades de sa vie, a besoin de certaines plantes pour survivre », note Xavier Mestdagh, chercheur en agronomie au Luxembourg Institute for Science and Technology (List). En effet, les œufs sont pondus sur des feuilles dont, ensuite, la chenille se nourrit avant de devenir une chrysalide qui a besoin de se mettre à l'abri pour parfaire sa métamorphose et devenir un papillon se nourrissant exclusivement du nectar des fleurs.
S'y ajoute que ces lépidoptères sont parfois de fins gourmets qui ne se délectent que d'une seule plante en particulier. La préservation de la flore est donc un élément qui assure la survie de ces insectes ailés dont la gamme chromatique ne laisse guère indifférent l'observateur.
L'atlas du papillon
La disparition d'espèces est donc principalement due à la disparition de l'habitat naturel. D'après les scientifiques, l'intensification de l'agriculture est un des facteurs, mais c'est aussi le cas en ce qui concerne le changement climatique. Xavier Mestdagh estime en substance que le réchauffement de la planète est notamment responsable de la migration de certaines sortes de papillons.
Ainsi, parmi les espèces comptabilisées en 2010, quatre étaient nouvelles au Luxembourg. Et l'habitat du papillon est multiple. Il y en a qui s'épanouissent en forêt, d'autres dans les prairies et d'autres encore dans les potagers. Autant dire que l'action de l'homme est déterminante pour la survie des lépidoptères. Mais il existe un étrange paradoxe qui fait que la recherche, bien qu'elle dispose d'observations de plus en plus nombreuses, est en ce moment incapable de tirer les conclusions nécessaires provenant de toutes les données rassemblées – plus de 58.000 actuellement. « Nous n'avons pas encore analysé ces informations, explique Xavier Mestdagh. Mais la volonté de trouver un financement pour mener ce travail existe. Cela nous permettrait d'aboutir à une sorte d'atlas répertoriant l'abondance des espèces en fonction des différentes régions. » Un tel livre, qui peut paraître anodin, recèle pourtant des informations extrêmement précieuses. En effet, le papillon joue un rôle important dans l'écosystème, ce qui fait de lui « un très bon indicateur de l'environnement ». Bref, s'il y a des papillons, la nature se porte bien.
Or, la diminution des populations s'observe dans toute l'Europe. Mais le European Butterfly Indicator for Grassland Species, une étude européenne sur la présence des papillons sur le Vieux Contient à laquelle a participé une équipe du List, ne dispose de chiffres que depuis 1990. A partir de cette année-là, le déclin est amorti et les populations semblent se stabiliser davantage: « Nous sommes à peu près certains que la période la plus dévastatrice est révolue. L'intensification agricole dans les années 1950 et, ensuite, les remembrements de terrains exigés par la Politique agricole commune (PAC) de l'Union européenne ont dû avoir un effet très négatif sur les papillons .»
Deuxième paradoxe
Cependant, comme la recherche manque encore d'analyses pertinentes, les incidences ne sont pas encore claires. En revanche, dans les pays les plus avancés dans le domaine – le Royaume-Uni et les Pays-Bas – il existe déjà des études d'impact. Ainsi, en Angleterre, la disparition de certaines espèces de papillons a eu une conséquence sur les populations d'oiseaux: « Il faut savoir que certaines espèces de mésanges adaptent leur ponte aux périodes où les papillons sont davantage présents », affirme encore Mestdagh. Tout espoir n'est pas perdu pour autant. Le papillon est non seulement utile dans l'écosystème, il est aussi très beau: « Je crois que cela explique l'engouement pour les lépidoptères. » Deuxième paradoxe donc: l'impact de la disparition de l'insecte le plus étudié n'est pas encore bien connu.
Au Luxembourg, par exemple, un premier atlas avait été édité dans les années 1980 par le Musée national d'histoire naturelle. Cette première étude était toutefois consciente des nombreuses lacunes, car elle se fondait sur quelque 6.200 observations non standardisées. Le titre restait donc humble: Atlas provisoire .
Depuis cette époque, les chercheurs ont mis en place un système permettant de relever à la fois la présence et l'abondance d'espèces en fonction de l'espace. Toutes les données sont donc réunies, et ce, notamment grâce à de nombreux bénévoles qui sillonnent le pays avec un filet à papillons pour recenser les lépidoptères.
« La publication d'un tel atlas nous permettrait à la fois de mieux comprendre les problèmes environnementaux liés à la diminution des populations de papillons et d'honorer le travail des nombreux bénévoles qui œuvrent pour nous. De plus, chez les naturalistes, il créerait une sorte d'émulation. S'ils s'aperçoivent qu'une certaine espèce n'est pas présente dans leur région par exemple, je vous assure qu'ils vont se mettre à la recherche du papillon rare. » C'est ce que Xavier Mestdagh appelle, sans méchanceté, l'« esprit cocheur », car lui-même a découvert son amour du papillon en feuilletant un atlas pour la Wallonie dont il est originaire.
Pour continuer ce travail herculéen de repérage et de comptabilisation, le List cherche d'ailleurs toujours des bénévoles. Depuis la PAC, l'Union a rectifié le tir avec deux directives (oiseaux et habitats) visant à protéger, entre autres, les insectes et dont les bienfaits se font aujourd'hui ressentir. Il n'est donc pas à exclure que les papillons connaîtront des jours meilleurs et que, par conséquent, les chercheurs auront davantage besoin d'observateurs épris de ces belles bêtes bigarrées.
Maurice Magar