Publiée récemment dans le prestigieux journal Nature Ecology and Evolution, l’étude du LIST et de ses partenaires dresse une perspective nuancée sur l'état des rivières européennes. Si des améliorations notables de la qualité écologique des cours d’eau ont été constatées, les résultats soulignent aussi les nombreux défis à relever pour atteindre un bon état écologique et comprendre les réponses multifacettes de la biodiversité.
La dégradation de l'habitat, la pollution de l'eau, la modification du débit et les espèces exotiques envahissantes ne sont que quelques exemples des pressions anthropiques qui impactent les écosystèmes d'eau douce. Bien que la directive-cadre européenne sur l'eau soit entrée en vigueur au début des années 2000 pour mieux préserver les rivières de ces pressions, des données fiables pour suivre l'évolution de leur qualité écologique au fil du temps manquent à l’appel. Parue fin janvier, la publication scientifique met en évidence une réalité alarmante : les améliorations observées ne se traduisent pas systématiquement en un bon état écologique.
En examinant les données sur les communautés de macro invertébrés de pas moins de 1 365 sites répartis dans 23 pays européens, l'équipe internationale observe en effet des tendances positives des années 1990 aux années 2010. La qualité écologique des cours d'eau atteint ensuite un plateau. « Bien qu'il y ait des signes de progrès, notamment des réductions de la pollution et des efforts de restauration de l'habitat, 60 à 80 % des rivières européennes ne répondent toujours pas aux critères stricts pour un bon état écologique », a déclaré Alain Dohet, chercheur au LIST et membre du consortium scientifique. D’autre part, de nouveaux problèmes émergent, tels que le changement climatique ou les pesticides et polluants qui nécessitent une réglementation.
Au Luxembourg, la situation des rivières ne fait pas exception à la tendance observée, avec une amélioration globale mais encore une grande proportion de cours d'eau n'atteignant pas un bon état écologique. Le LIST a développé des programmes de surveillance qui englobent un vaste réseau de sites depuis les années 2000, offrant une évaluation robuste de la qualité des rivières et de son évolution temporelle.
Les conclusions de la publication ne s’arrêtent cependant pas là ; elles fournissent également des perspectives précieuses sur les réponses de la biodiversité face aux changements de la qualité de l'eau au cours du temps. De nombreuses études montrent en effet des réponses mixtes et des contradictions majeures : une diminution de la qualité de l'eau peut par exemple coïncider avec une augmentation de la biodiversité au fil du temps. Ce constat met en évidence le décalage fréquent entre les métriques utilisées pour évaluer la qualité de l'eau et celles utilisées pour évaluer la biodiversité d'une rivière.
En examinant plusieurs métriques de biodiversité, telles que l'abondance et la diversité des espèces, les chercheurs ont observé que ces variations dépendent principalement de l'échelle spatiale considérée. « Nous pouvons voir une diminution des espèces liée à l'impact d'un pesticide particulier au niveau local, mais aussi observer une augmentation d'autres espèces plus tolérantes à une échelle régionale », a illustré Lionel L'Hoste, chercheur au LIST et membre de l'étude.
Comme l'indique l'équipe du LIST, ces résultats soulignent l'importance de données de base suffisantes et d’une sélection méticuleuse de métriques pour évaluer et capturer l'ensemble des réponses de la biodiversité à un changement de qualité de l'eau. « Même si la qualité des rivières s'est améliorée au cours des dernières décennies, cela ne signifie pas que la biodiversité s'est pour autant améliorée partout », a précisé Sarah Vray, chercheuse au LIST ayant également participé à l'étude.
Alors que les débats politiques et scientifiques se concentrent régulièrement sur l'utilisation d'un APEX unique pour mesurer les progrès globaux vers l'atteinte des objectifs mondiaux de conservation de la biodiversité, les résultats des chercheurs contribuent à montrer qu'il est difficile de capturer toute la complexité du vivant et ses avantages autour d'un seul indicateur.
Pour en savoir plus :
Sinclair, J.S., Welti, E.A.R., Altermatt, F. et al. Multi-decadal improvements in the ecological quality of European rivers are not consistently reflected in biodiversity metrics. Nat Ecol Evol (2024). https://doi.org/10.1038/s41559-023-02305-4
Haase, P., Bowler, D.E., Baker, N.J. et al. The recovery of European freshwater biodiversity has come to a halt. Nature 620, 582–588 (2023). https://doi.org/10.1038/s41586-023-06400-1
Photo: (C) LIST - Ningserbaach, un affluent de la Sûre près de Lutzhausen