Comment le consommateur sera au centre du jeu

L’importance du gaz et du charbon russes dans la production d’électricité et de chauffage en Europe, mise en évidence par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, est le meilleur «argument de vente» des technologies qui sont développées dans le département Énergie du List.

Source : paperjam.lu
Publication date : 03/18/2022

 

Plus rien ne sera comme avant. D’ici dix ans, si les hommes politiques luxembourgeois et européens comprennent l’importance de la régulation à mettre en œuvre, plus rien ne sera comme avant… dans la consommation d’énergie, ni même dans son organisation, loin du processus fournisseur d’électricité-consommateur classique que nous connaissons encore très largement aujourd’hui.

Poussés par des impératifs de décarbonisation, de stockage, de privation d’électricité pour un milliard de personnes, par une hausse de l’électricité produite par des particuliers, par une consommation différente, par le renouvellement de l’habitat, par l’importation de 80% de l’électricité consommée au Luxembourg et la poussée des véhicules électriques, les 210 chercheurs du département «Energie» du Luxembourg institute of science and technology (List), finalisent le monde de demain.

Finalisent, parce qu’ils avancent à grands pas. De demain, parce qu’ils annoncent que leurs technologies seront prêtes pour 2030. Ils n’ont pas le choix. Si tous ceux qui ont acheté ou se préparent à acheter un véhicule électrique branchaient leur voiture en même temps, le réseau risquerait le black-out.

Le «grid du futur», explique le directeur du département énergie du List, Lucien Hoffmann, sera intelligent, digitalisé, décarbonisé, décentralisé, granulaire et orienté par les marchés. Avec des challenges opérationnels, liés à l’incertitude liée à la production d’énergie renouvelable et à la complexité de coordonner des ressources énergétiques centralisées et décentralisée. Et des challenges scientifiques dans le développement de modèles assez flexibles pour embrasser tous les développements du secteur.

Esch en 3D, ses toits et ses façades au potentiel solaire

Pas de soleil, mais une pluie aussi fine que désagréable, ce matin-là. Dans les bâtiments de Belval, la visite commence chez «Déborah». Le logiciel du Viswall et le mur de visualisation continuent de livrer de précieux résultats au service du pays et de son économie, depuis la visite organisée par le gouvernement de cet outil de modélisation incroyable, au début de la pandémie de Covid, pour montrer aux journalistes non seulement tous les indicateurs à prendre en compte pour parvenir à une décision politique, mais aussi pour organiser la logistique.

À partir de l’observation d’un avion doté d’un lidar, les chercheurs ont modélisé la ville d’Esch-sur-Alzette, qui apparaît d’abord en 3D sur les huit écrans. En mars, l’administration du cadastre devrait dévoiler la modélisation de tout le pays. Cette observation, qui a nécessité trois milliards de calculs pour la seule Métropole du fer, a permis de mettre en place un modèle capable de calculer l’ensoleillement non seulement de chaque toit, mais aussi de chaque façade de la ville, en prenant en compte non seulement l’ensoleillement, mais aussi l’exposition de chacune de ces parties au soleil.

L’intérêt est de pouvoir dire précisément, mètre carré par mètre carré, à chaque habitant, si installer des panneaux solaires sur son toit ou sur sa façade – dans ce cas dans le cadre du projet «Secure» avec la Fondation Enovos – fait du sens, voire orienter, du coup, les politiques publiques d’accompagnement de cette inévitable transformation. Est-ce que c’est rentable d’un point de vue coût de l’électricité? Coût de l’installation? Durée de vie de cette installation? Rien ne s’y oppose pour les bâtiments en vert sur les écrans.

Les chercheurs ont dû agréger des données qui manquent à une vision intégrée du problème: l’année de construction, la surface, la qualité des matériaux. Au moment où d’un côté arrivent sur le marché de nouvelles technologies comme les fenêtres solaires, comprenez qui ont un film spécial pour stocker la lumière, et où l’isolation des bâtiments est un élément clé, tout savoir est un atout indéniable.

Il n’a fallu qu’une journée, au HPC, ce supercalculateur, pour effectuer toutes les opérations, mais les chercheurs doivent pour l’instant se contenter de ce passage de l’avion, qui ne devrait pas revenir avant deux ou trois ans pour actualiser les données.

Le consommateur incité à changer de comportement

Mais forcément, si la production d’électricité se décentralise, comment contrôler la production d’électricité, comment anticiper les besoins, comment donner de la souplesse au système? C’est l’autre pan de la problématique à laquelle s’attache le professeur Pedro Rodriguez. Avec une idée derrière la tête, facile à comprendre: comment intégrer tout cela dans un seul modèle qui permette d’avoir une analyse toutes les 15 minutes et d’alerter le consommateur sur ce qu’il pourrait faire. «La solution sera dans votre smartphone. La connaissance du réseau permettra d’inciter le consommateur à changer de comportement, tous les quarts d’heure», assure-t-il en montrant son smartphone. 

La France en avait fait l’expérience il y a quelques années en proposant des abonnements à tarif différencié, l’électricité était moins chère en heures creuses. «Voilà, mais là, on parle de créer des communautés de consommateurs, de créer de la flexibilité et de voir comment les consommateurs réagissent.»

Une autre salle est l’application concrète de cette idée. Une table en formica blanche sur laquelle trois écrans proposent des données hermétiques au commun des mortels. Tout autour, des armoires comme celles des centres de données, qui regroupent toutes les données de batteries… à Chypre et en Grèce, dans le cadre d’une opération-test, qui permet de voir comment la consommation électrique évolue, de tester le grid au risque de problème, de modéliser et d’optimiser.

À quand une «EnergyVille» à Luxembourg?

Si cela ne se passe pas encore à Luxembourg, c’est que le List a entamé des négociations avec les autorités et le régulateur de l’énergie pour pouvoir, à l’instar de l’EneryVille du ThorPark à Genk , pouvoir devenir un «testbed» grandeur nature au Luxembourg. «Nous sommes un petit pays qui a toutes les fonctionnalités d’un État classique ou plus grand. Si nous pouvions faire de certains quartiers ou de zones industrielles des lieux de tests de nos technologies, nous pourrions démontrer nos prototypes», assure d’ailleurs le directeur du département, qui évoque des contacts avancés avec Beckerich.

Forcément, entre le Covid et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les travaux ont pris un peu de retard, mais les chercheurs entendent bien restés calés sur la date de 2030, avec la difficulté de devoir préparer une réglementation qui n’existe pas et des normes autour de ces nouvelles technologies brevetées avant d’être publiées pour ne pas se faire piller les découvertes des chercheurs.

Et comme le List a décidé de montrer que ses équipes ne travaillent pas dans une tour d’ivoire, mais bien au service des entreprises, de la population et des autorités, M. Hoffmann emmène vers le laboratoire des bioénergies. Une maquette d’une ferme rend très concret l’intérêt de travailler sur les déchets agricoles, de l’agroalimentaire ou les eaux usées, pour produire de l’énergie. Du méthane ou des biométhanes qui s’inscrivent dans une logique d’économie circulaire, selon trois axes, l’optimisation des bactéries, le suivi des traces de nickel, de cobalt ou de zinc et la méthanisation.

Anecdotiques ces technologies? Non, répond M. Hoffmann, selon qui le List prépare une nouvelle spin-off pour répondre aux besoins du marché.

Climobil et les vrais chiffres de l’impact d’un véhicule

La visite repart dans la salle où elle avait commencé, pour y découvrir deux autres projets: une plate-forme de calcul de l’impact environnemental d’un véhicule sur sa durée de vie et un projet sur lequel se cassent les dents beaucoup de chercheurs, la réutilisation de la chaleur excédentaire.

Avec Climobil , Thomas Gibon a mis en place une plateforme capable de calculer l’impact d’un véhicule en allant beaucoup plus loin que ce qui existe, non seulement en intégrant tous les paramètres de sa création à sa destruction, mais aussi en offrant une approche multicritère. «Notre volonté est d’être complètement transparents», explique-t-il. Voire de lancer la plateforme en API, comme elle a déjà été testée avec Engie et l’Agence française de l’environnement et de l’administration de l’énergie (Ademe) pour orienter le choix des flottes de véhicules d’une administration, par exemple, comme une commune.

Il faut aimer jouer avec ces outils informatiques pour les apprivoiser un peu, mais le résultat peut être très intéressant, d’autant que les chercheurs sont en permanence en train d’ajouter de nouveaux modèles, pour montrer quand une voiture électrique est plus intéressante qu’une voiture à moteur thermique.

En collaboration avec ArcelorMittal, Alexandre Bertrand travaille lui à une autre plate-forme liée à la récupération de chaleur et à sa réintégration, «que ce soit ces tentes d’hôpitaux qui ont été montées au début de la pandémie de Covid, les structures provisoires pour les réfugiés ou… les marchés de Noël», suggère-t-il.

Si la production est relativement bien connue, les chercheurs sont confrontés à des calculs pour évaluer l’intérêt de son utilisation. Jusqu’à quel point charger un camion de cette chaleur, même transformée pour être transportée? Sur quelle distance au maximum? Pour quelle utilisation? Quid du déchargement et du reconditionnement? «Chacun de ces choix a un effet sur le résultat et dicte les choix industriels. Nous essayons de construire un algorithme pour les optimiser», explique le chercheur, tandis que sa technologie sera testée chez LuxEnergie .

Les datacenters, notamment ceux à venir de Google, pourraient-ils trouver un intérêt à cette technologie? Pas sûr, répond en substance le chercheur, parce que la température, 30 à 40 degrés, est trop basse. Il faudrait donc pouvoir chauffer… la chaleur avec une pompe à chaleur avant de décider quoi en faire. «Or augmenter la température de la chaleur qu’ils émettent implique une vraie analyse de ce qu’ils font et de l’utilité finale», dit M. Bertrand.

«Ce qui est sûr, c’est que maintenant que l’énergie est plus chère, de plus en plus de gens nous contactent pour nous dire leur intérêt.»

Tous les chercheurs et leur directeur s’accordent sur le phénomène. L’Intelligent Clean Energy Systems (ICES), mise sur pied par M. Rodrigues se retrouve au cœur des problématiques de demain. Avec un enjeu majeur: aider le politique à mettre en place la bonne régulation. «Car de nombreux services vont émerger, comme le confort (thermique) as a service», prédit-il. «L’intelligence artificielle ne pense pas, mais sera très précieuse pour calculer très rapidement» et permettre d’économiser de l’argent et de l’électricité dans une lutte collective au service d’un monde meilleur. Moins mauvais en tout cas.

Thierry Labro

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