Electromobilité : le pays est-il prêt ?

Le gouvernement luxembourgeois s'est fixé l'objectif d'atteindre 49% de véhicules 100% électriques dans son parc automobile en 2030. Bornes de recharge, cartographie des besoins ... le pays saura-t-il gérer cette hausse de véhicules électriques, et comment? Voici quelques éléments de réponses d'experts du sujet. 

Source : PaperJam
Publication date : 07/22/2022

 

Le Parlement européen s'est prononcé en faveur d'une interdiction de la vente de voitures essence et diesel neuves en Europe à partir de 2035, lors d'une séance plénière le 8 juin dernier. Un projet approuvé fin juin par le Conseil européen des ministres de l'Environnement, réuni au Grand-Duché. Mais le texte européen a été légèrement remanié par les ministres, à la demande de Il'Allemagne et de l'Italie. Même si les véhicules 100% électriques seront la seule norme d'ici 13 ans, les 27 se sont mis d'accord pour envisager quelques exceptions (voir encadré). Reste que la part de véhicules électriques doit significativement augmenter dans les années à venir, et selon les derniers chiffres publiés par le ministère de la Mobilité et des Travaux publics, en 2021, une nouvelle immatriculation sur cinq concernait une voiture 100% électrique ou plugin hybride. Sachant que le gouvernement luxembourgeois s'est fixé l'objectif ambitieux d'atteindre 49% de véhicules totalement électriques dans son parc automobile en 2030. 

En juin 2022, le Luxembourg comptait 12.778 véhicules électriques, soit 2,14% de la totalité du parc, d'après les données de la Société nationale de circulation automobile (SNCA). Et du côté des entreprises luxembourgeoises - qui détiennent plus de 20% de l'ensemble des véhicules immatriculés dans le pays -, les voitures de société électriques représentaient 4,7% des immatriculations pour la période janvier-août 2021, contre 4% pour septembre 2019-aoüt 2020. Soit une évolution plutôt lente. «Mais il faut aussi comprendre que passer au 100% électrique n'est pas si simple, analyse Antonio Da Palma Ferramacho, head of mobility technologies à l'Automobile Club du Luxembourg (ACL). Il ne suffit pas d'électrifier les moyens de transport, il faut aussi que le réseau suive. Il y a beaucoup d'enjeux, et on observe très souvent un décalage par rapport à la réalité.» 

Quid des véhicules d'intervention? 

L'ACL a notamment réalisé un calcul intéressant. «Nous avons pris une des deux aires de Berchem. Imaginons que la moitié des véhicules soient électriques. Un million de voitures et 180.000 camions s'y arrêtent, l'aire aurait donc besoin d'un centième de l'énergie de tout le Luxembourg pour les recharger. Et si les véhicules étaient 100% électriques, et en comptant l'aire de l'autre côté de l'autoroute, cela ferait 1/25e, et on ne parle que de deux aires de repos.» Interrogé par Paperjam en janvier dernier, le ministre de l'Energie Claude Turmes (déi Gréng) se targuait qu'«avec son système Chargy, le Luxembourg possède le deuxième réseau de bornes de recharge le plus dense d'Europe, derrière les Pays-Bas, et l'objectif est de rester dans le trio de tête. Aujourd'hui, ce sont 700 bornes Chargy qui sont opérationnelles au Grand-Duché, soit 1.400 points de recharge. Nous avons constaté un énorme succès ces derniers mois sur le réseau public. Alors qu'en 2020, 150.000 kWh avaient été consommés, nous avons comptabilisé une consommation de plus de 500.000 kWh lors de l'année écoulée! Par ailleurs, 101 des 102 communes du pays sont équipées d'au moins une borne Chargy.» Et le ministre d'annoncer que «2022 et 2023 seront les années du déploiement massif de bornes SuperChargy. 88 bornes de recharge ultrarapide seront installées à travers le pays cette année». Mais cela suffira-t-il lorsque l'ensemble du parc automobile sera électrique? «Le problème qui se pose aujourd'hui, ce sont les trajets longue distance, parce qu'il faut recharger souvent. On peut faire dire ce que l'on veut aux chiffres avec des cas particuliers, répond Antonio Da Palma Ferramacho. Si je base toute ma démonstration sur une voiture électrique qui roule en ville, c'est fantastique. Et même ici au Luxembourg, sur des distances de 30 à 40 kilomètres par jour avec de l'autoroute, de la ville et un peu de route, il ny a pas de souci. Le problème commence à se poser dès qu'on envisage de faire de longues distances et qu'on a des contraintes de temps.» L'expert de l'ACL estime que le temps de recharge les interroge, notamment s'il faut électrifier leurs 35 à 40 véhicules d'intervention. «On ne peut pas se permettre de recharger pendant trois heures une camionnette qui doit intervenir 24h/24, 7j/7. Donc, il faut qu'elle soit chargée en borne rapide, et là encore on a fait le calcul: si nous ne devions avoir que des bornes rapides ici, nous devrions multiplier la puissance du site par 30, et cela représenterait plus de 500.000 euros d'investissement puisqu'il faudrait installer un nouveau transformateur et espérer que le réseau suive. Donc ce n'est pas aussi simple que ça, il ne suffit pas d'avoir une borne, il faut aussi que l'énergie arrive.» Une demande qui sera satisfaite, selon le fournisseur d'électricité Creos. «Oui, le Luxembourg aura les capacités pour assumer ces besoins, assurait à Paperjarn début juin Alex Michels, à la tête de la gestion d'actifs chez Creos. D'ici 2035, nous nous attendons à une production d'énergie renouvelable jusqu'à cinq fois plus élevée.» Mais que se passera-t-il si tout le monde veut charger sa voiture au même moment? «Si tout le monde faisait le plein en même temps dans les stations-service, il y aurait un embouteillage énorme. Mais il n'est pas nécessaire de faire le plein chaque jour. La même chose vaut pour l'électromobilité. Il ne faut pas recharger chaque nuit sa voiture», répond Alex Michels. Une puissance de 11kW pour la recharge à la maison serait «entièrement suffisante». Alors que dans des parcs de recharge importants, on tourne plutôt autour des 300kW. 

Une électromobilité qui sera connectée 

«Autour du sujet des voitures électriques, il y a de nombreuses problématiques, pointe encore Antonio Da Palma Ferramacho. Les copropriétés sont plus réticentes aujourd'hui à installer des bornes de recharge, notamment en sous-sol, parce qu'elles craignent des incendies éventuels. Il faut savoir qu'une batterie électrique est très difficile à éteindre, car le feu peut reprendre, donc la seule solution fiable actuellement est de plonger la voiture dans un conteneur d'eau pendant 48 à 72 heures. De plus, en sous-sol, l'accès pour les pompiers est beaucoup plus compliqué.» 

Autre aspect du débat: le gouvernement propose une prime de 8.000 euros pour l'achat d'une voiture électrique et une autre prime qui peut aller jusqu'à 1.200 euros pour l'installation d'une borne de recharge sur 1 à 3 emplacements. «Mais on favorise les gens qui ont les moyens. Pour moi, cela augmente les inégalités dans la mesure où si vous n'avez pas votre borne chez vous, vous devez vous brancher dans la rue et vous allez payer votre électricité deux à trois fois plus cher, s'inquiète Antonio Da Palma Ferramacho. Pour le moment, le prix est encore correct, mais il finira bien par augmenter. Et quid des accises? À terme, on imagine également qu'il sera possible, avec les compteurs intelligents et connectés, de voir si une voiture est en charge dans un bâtiment, et cela servira également à répartir l'énergie disponible sur le réseau.» 

Une des clés de l'électromobilité est en effet de faire en sorte que le réseau résiste face à la demande, et rendre ce réseau et les recharges connectés peut y aider. Un sujet sur lequel s'est penché le List. « C'est le projet 5G-Planet (de l'anglais 5G Network Digital Twin for Connected Mobility in Luxembourg, ndlr), qui a pour but de reproduire une partie de l'infrastructure 5G luxembourgeoise existante afin de montrer au grand public son utilisation, ses capacités, ses limites et bien d'autres aspects», explique Sébastien Faye, 6G technology & innovation line manager au List. Dans ce projet ou dans d'autres, l'ambition du List est de s'appuyer sur une approche de digital twin et de créer ainsi une copie numérique de l'infrastructure du Luxembourg. «Nous travaillons actuellement sur la 6G et l'idée est de recréer, par exemple, des quartiers du pays, et en fonction des données actuelles, des projections, de pouvoir simuler les besoins en électricité lorsqu'un nombre donné de personnes devront recharger leur voiture, en comptabilisant aussi les transports en commun et les infrastructures de communication supportant les nouveaux services de mobilité. Sur la base d'une grande quantité de données, il est possible de simuler énormément de choses.» 

Des comportements à modifier 

Avec la connectivité et le déploiement de la 5G et de la 6G, une des applications les plus parlantes concerne la mobilité. Le List avait d'ailleurs lancé avec l'Uni le projet eCoBus, pour concevoir et évaluer une approche «systémique exploitant les potentiels du nouveau paradigme coopératif des systèmes de transport intelligents afin de répondre aux exigences des systèmes de transport public de nouvelle génération. Le défi posé par les bus électriques est qu'ils doivent recharger périodiquement les batteries dans des bornes de recharge placées dans des arrêts et des bornes sélectionnés.» Pour rappel, le gouvernement a également pour objectif que 100% des transports en commun soient électriques en 2030. «Et la mobilité connectée va aider à construire les réseaux de transport de demain, précise Pascal Lhoas, lead partnership officer au département Automotive and Mobility du List. Les comportements vont évoluer. Quand les transports privés et publics seront tous électriques, peut-être qu'il y aura moins de personnes qui auront des voitures. On peut très bien imaginer une sorte d'Uber pour les zones rurales, et louer sa voiture uniquement pour faire de longs trajets, pour les vacances par exemple. Notre but est donc de simuler toutes les options possibles.» En situation réelle avec des voitures à échelle réduite, les chercheurs étudient aussi l'utilisation de véhicules autonomes, et les accidents sont ainsi évités «parce que les voitures communiquent entre elles. Ça aussi, c'est le futur de la mobilité, on développe une intelligence collective», ajoute Pascal Lhoas. 

La mobilité telle qu'elle est imaginée aujourd'hui pour 2035 ne peut finalement pas encore être matérialisée. Les ingénieurs travaillent en effet actuellement au futur des batteries électriques, qui seront certainement plus denses en énergie et permettront de réaliser des trajets plus longs. Le comportement des usagers sera également différent, et l'intelligence artificielle aidera à matérialiser et à organiser l'ensemble. 
 

Le tout-électrique en 2035 nuancé

Réunis à Luxembourg le 28 juin, les ministres de l'Environnement des 27 États membres ont approuvé le projet du Parlement européen visant à interdire la vente de véhicules thermiques à partir de 2035. Mais le texte européen a été légèrement remanié à la demande de l'Allemagne et de l'Italie. S'il est vrai que les véhicules 100% électriques seront la seule norme d'ici 13 ans, les 27 se sont mis d'accord pour envisager quelques alternatives.

Plus précisément, la possibilité d'inclure, à l'avenir, des technologies alternatives comme des carburants synthétiques ou même des motorisations hybrides, demeurera à la condition de réduire à zéro les émissions de CO2 du véhicule en question. Le moteur thermique n'est donc pas tout à fait mort.

D'autant plus qu'une exemption de l'obligation de se conformer aux obligations européennes en matière de CO2 a été accordée aux constructeurs qui produisent moins de 10.000 véhicules par an.

En outre, les ministres européens de l'Environnement se sont accordés pour organiser une étape, à l'échéance de 2026. La Commission européenne évaluera alors « les progrès réalisés vers l'atteinte des objectifs de réduction des émissions de 100% et le besoin de réexaminer ces objectifs en tenant compte des développements technologiques, y compris au regard des technologies hybrides rechargeables et de l'importance d'une transition économique viable et socialement équitable envers le zéro-émission», explique le communiqué du Conseil européen.

IOANNA SCHIMIZZI

 

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